Du bonheur et de l'espérance

Du bonheur et de l'espérance

 

Le coeur, l'intelligence, la raison s'unissent pour forcer l'incarné à désirer le bonheur, à se demander le pourquoi de la vie ; il cherche la solution de ces problèmes dans le but assigné aux êtres par toutes les religions et n'y trouve que le vide et l'incompréhensible. Actuellement, dans le nombre de ses intérêts multiples, il place en première ligne le mot honneur qui représente le succès, la richesse et la gloire, tandis qu'en réalité c'est un mot vide de sens, dont l'emploi désespère nos âmes, tout en étant accepté par la généralité des hommes comme l'idéal du bonheur. Notre éducation, notre instruction, nous forçant à envier les chimères vaines que nous ne possédons pas, nous considérons notre destinée comme un problème insoluble, jalonné par trois étapes principales et inévitables :

1° celle où l'on naît ;

2° celle où l'on vit un peu en désirant beaucoup ;

3° celle de la mort.

Les jours de l'homme sont semblables à ceux du mercenaire du livre de Job (sicut dies mercenarii dies ejus). Ils sont remplis par le travail et la fatigue, et voulant être heureux, il court après ce bonheur envié et tous ses actes et ses aspirations tendent vers ce but, introuvable pierre philosophale de toutes les écoles philosophiques et scientifiques ; comme le juif de l'Écriture, il marche et s'agite sans cesse ; ses voeux sont-ils comblés, qu'aussitôt son âme agitée, inquiète, est pleine de secrètes appréhensions, de désirs nouveaux, de souffrances intimes, qui signifient : « Non, le bonheur tel que tu l'entends n'existe pas » . Dans ses diverses existences, ses épreuves sont grandes, et l'incarné doit tour à tour ressembler aux deux hommes dont parle le grand penseur Pascal : « Comme Salomon, il doit connaître par expérience la vanité des plaisirs ; comme Job, il doit comprendre pourquoi, selon son avancement moral, la réalité des maux qui l'accompagnent augmente ou diminue d'intensité. »

Relire les théories sur le bonheur, inspirées à des hommes sérieux pleins d'intelligence et de raison, c'est se convaincre que parmi elles, nulle n'a résolu le problème du mystère de l'existence humaine ; il est pourtant une vérité incontestable, reconnue, celle de l'inconscience de l'homme à l'égard de l'instrument de chair dont il se sert pour ses manifestations, et si la chose principale est pour lui une énigme, cette ignorance aveugle' doit bien plus voiler à ses sens matériels les merveilles fluidiques dont l'action invisible domine le travail de sa pensée. Ce résultat négatif est prouvé par les oeuvres des mortels qui ont osé jeter un regard au delà du temps consacré à une existence ; ils ont bien constaté que les années consacrées à la vie n'étaient pas en rapport avec nos aspirations, mais ils n'ont pu préciser rien de certain au sujet de la vie future. Ce bonheur idéal, entrevu par les uns, entouré pour tous de mystères incompréhensibles et irrationnels, a pourtant été deviné par la science positiviste, qui repousse le surnaturel et n'admet la vie future qu'à titre d'hypothèse.

Oui, le positivisme rejette avec horreur le matérialisme, et repousse de même, a priori, la foi absolue du catholique ou du protestant qui sans contrôle, admettent la félicité réelle et inaltérable du paradis, par l'adoration éternelle de Dieu et dans le repos absolu de la béatitude. Cette philosophie, qui admet le positif dans l'ordre naturel, reconnaît néanmoins que le bonheur n'existe pas dans l'état présent ; il peut y avoir, dit-elle, pour l'humanité qui cherche une quiétude continue, d'autres existences au delà de cette vie, pouvant répondre aux aspirations de notre pensée dont les désirs et les raisonnements dépassent la durée du court passage d'une personnalité sur cette terre. Ayant égard à cette tendance, cette école ne considère pas la philosophie spirite comme une théorie vaine, mais comme il ne lui a pas été permis de toucher un Esprit, d'analyser sa substance, elle se tient sur la réserve, ne nie point Dieu et l'âme, mais attend des preuves palpables.

Ce serait bien le cas de s'écrier avec le poète des Harmonies: « Science, que sais-tu ? L'orgueil est le péché de la science, elle ne veut pas dire une bonne fois le grand mot de tout : J'ignore » et de même, dire avec Madame de Staël « L'homme s'est familiarisé partout avec la nature, pour lui il n'y a plus rien d'inaccessible, du moins il le croit ; pourtant ce qu'il ignore le plus, c'est le grand mystère de lui-même » Et cependant, le terrien n'est-il pas dominé par un désir naturel, une inclination nécessaire à son coeur, qui fit prononcer les paroles suivantes à Lacordaire : « La nature ne nous permet pas d'être indifférents à la félicité, car si nous sommes libres d'abdiquer le devoir, nous ne le sommes pas d'abdiquer le bonheur » ; et qui fit écrire au profond philosophe Jean Raynaud, dans Terre et Ciel : « Qu'à peine l'homme se connaît-il, ou même avant qu'il se connaisse, il sent s'éveiller en lui l'aspiration indéfinie à la félicité. »

L'homme est ainsi fait : ses besoins croissent avec les moyens de les satisfaire; l'illusion est sa règle, l'humilité déplaît à son orgueil ; l'austérité fait horreur à sa mollesse ; son plus grand malheur est la perte d'un trésor, et singulières anomalies : tandis que le malheureux ambitionne la fortune, le potentat tient plus au pouvoir qu'à la vie ; l'exagération semble la règle et fait oublier complètement cette vérité vulgaire : que tous les moyens de bien-être, bien employés, sont un moyen de perfectionnement et de véritable bonheur. Nous devrions pourtant bien savoir que si les biens acquis honnêtement ne peuvent être un mal, il est juste d'en réprouver tout usage abusif, de ne point oublier que la véritable sagesse consiste à ne pas s'en défaire avec inintelligence quand on les possède, à ne pas les désirer lorsqu'on en est privé ; en un mot, on doit se servir de la fortune avec règle et mesure, et la poursuivre sans impatience et sans injustice.

Le bonheur devient ainsi la conséquence du mouvement bien ordonné de la vie ; par sa régularité et beaucoup de volonté, on peut être heureux dans toutes les conditions, la paix de l'âme nous aidant à dominer nos afflictions auxquelles nous sommes d'autant moins sensibles, que nos désirs sont sages et modérés, notre conduite bienveillante, affectueuse et fraternelle. Nous répétons constamment : « A quelque chose malheur est bon » ; cet axiome, adopté par le bon sens général, prouve qu'intuitivement on a senti qu'entre les mains de la Providence, ce mal devait être un moyen tout-puissant pour nous faire aimer le bien et nous forcer à progresser ; aussi, l'infortune, si l'on sait en profiter, devient-elle un élément de purification, de force, d'épuration pour l'Esprit incarné, les agitations de la terre doivent faire sentir la nécessité de jeter l'ancre dans le ciel. A cet égard, Fontenelle disait aux négateurs de son époque : « Si l'avenir est, selon vous, un ingénieux charlatan qui nous escamote le présent par un état chimérique, en tous cas, c'est un ingénieux médecin qui nous tient promesse quand nous lui prêtons l'oreille pour nous consoler, et non pour nous séduire. »

L'imagination qui travaille sur ce fond, nommé le temps, est une magicienne dont la raison doit surveiller tous les mouvements, puisque les souvenirs qu'elle exhume, les fantômes qu'elle crée, les couleurs sombres ou gaies qu'elle jette sur les réalités sont pour nous un monde enchanté où les faux pas sont faciles ; pour se diriger dans ce labyrinthe de fantaisies, le conducteur doit être la raison froide, scrupuleuse, qui ne fait pas de grandes choses, mais ne commet pas d'extravagances. Néanmoins, l'imagination, dirigée par des comparaisons sensées, met souvent en relief ce qui mérite d'être apprécié ; elle devient une faculté capable de trouver la bonne anse, dont parle Epictète, par laquelle tout ce qui nous touche et s'offre à nos yeux doit être pris et analysé, rien n'étant inutile dans l'ensemble des choses créées. Il ne faut donc pas s'interdire la course, de peur de tomber, ni agir avec présomption ou avec défiance excessive, pour arranger sa vie d'une manière régulière ; il faut aussi être assez sage pour se replier, se retirer dans son intérieur, savoir s'affranchir dans une certaine mesure du jugement d'autrui et, mettant ainsi son bonheur à l'abri de l'atteinte de l'amour-propre des étrangers, répéter que pour être heureux, il faut parfois, comme l'ont dit les Pythagoriciens : « Savoir vivre seul ».

Le Spiritisme est une école de premier ordre pour la direction à donner à chaque âge des êtres animés ; par lui nous avons l'initiation complète à l'idée de la mort comme continuation de la vie, et la preuve que nos existences sont des apprentissages nécessaires, merveilleux, par lesquels nous nous dépouillons chaque jour et sans retour d'une partie de nous-mêmes. Cette initiation nous apporte ainsi l'expérience, ce bienfait qui nous oblige à mettre Dieu à la place de nos vanités, et fait acquérir à nos sentiments une gravité noble, sublime et religieuse, que nous fûmes loin d'atteindre dans les périodes antérieures aux jours actuels. Aujourd'hui, la plus saine des croyances étant la réalité de la vie future expliquée par les travaux d'Allan Kardec, nous devons avec reconnaissance la considérer dans toute sa grandeur, avoir la conscience de nos sentiments et le désir bien naturel, après avoir rempli notre mission de père, de frère, de citoyen et d'ami , de partir gaiement vers une autre étape de la grande route par laquelle on ne repasse jamais.

La mort est ainsi le bonheur sagement désiré, la délivrance prévue, le sujet de nos plus douces et fermes espérances ; nous savons que le lien domestique et social, brisé d'une part, est immédiatement renoué, puisque dans l'erraticité on retrouve ceux qu'en apparence on a perdus. Cette mort terrible selon nos préjugés, étant simplement un immense bienfait et nous laissant une plus sûre appréciation des vues divines, n'est plus qu'une simple séparation dont il faut désormais éloigner l'horreur habituelle créée par l'ignorance et la coutume. Avec cette idée salutaire de délivrance, de félicité et de progrès, qui ne voudrait désormais travailler au bonheur et à l'émancipation morale et matérielle des âmes incarnées ?

J.-J. Rousseau a dit : « Dieu seul jouit d'un bonheur absolu; mais qui de nous en a l'idée ? » Si dans tous nos sentiments, nos démarches, par une pente innée dont nous ne pouvons arrêter l'impression, noire âme tend sans cesse vers Dieu comme vers son propre bien et son bonheur, c'est que Dieu est ce bien dont nous ne pouvons nous passer, ce bonheur souverain tant cherché. Aussi, cette incompréhensible aspiration doit-elle être le but invariable de nos pensées, puisque sur la terre le bonheur est incertain, passager et limité. Mais l'homme n'a point de limites pour ses désirs, et comme il n'y a pas d'effets sans cause, nous savons que ces désirs illimités sont en accord avec ses vies illimitées elles-mêmes ; que rien de ce qui est passager ne pouvant le satisfaire, son Esprit doit toujours le porter au delà du présent, vers l'espérance, cette compagne de nos souffrances et de nos joies.

L'espérance, cette fille de Dieu, nous conduit sans cesse en avant, et dans notre monde, rien ne saurait l'apaiser ni la satisfaire ; ce mouvement secret de nos facultés intellectuelles vers l'avenir, sa persévérance durant toute la vie serait inexplicable sans les déductions logiques et irréfutables offertes par la philosophie spirite ; elle devient ainsi un charme pour l'entendement humain, et un adoucissement bien naturel à nos luttes pendant la vie. « L'espérance, a dit Goethe, est une ancre jetée de l'autre côté du temps. » L'homme, parmi les êtres, étant le seul qui puisse scruter la mort, espérer un avenir indéfini, savoir qu'il est fait pour autre chose que pour le temps, a pour devoir de fixer sa pensée sur tous les problèmes insolubles ou réputés tels ; il doit aussi avoir une certitude, à l'aide d'une croyance généreuse qui satisfasse toutes ses aspirations, et posséder une espérance raisonnée ne lui permettant point de s'égarer. Nos relations intimes, si faciles avec le monde des Esprits, résolvent ce problème ; la réalité sublime qu'elles affirment est pour les adeptes d'Allan Kardec, la solution tant cherchée, la réalisation relative du véritable bonheur sur la terre.

 



28/10/2012
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