Eckhart Tolle « La passion »

« Cher Eckhart, depuis que j’ai eu une expérience spirituelle, je ne ressens plus l’ancienne passion avec laquelle j’ai vécu ma vie. S’agit-il d’une sainte indifférence ? Merci de commenter ». La personne qui écrit a 70 ans, est-il précisé entre parenthèses. « Depuis que j’ai eu une expérience spirituelle, je ne ressens plus l’ancienne passion avec laquelle j’ai vécu ma vie ».

 

Quand la dimension spirituelle, la dimension transcendante entre dans sa vie, tout le monde constate que les différentes situations de sa vie – les choses qui arrivent, les événements, les lieux, etc. – n’ont plus le pouvoir qu’elles avaient avant. Avant, tout ce que vous avez, c’est vous tourner vers les choses du monde pour y trouver une sorte d’épanouissement ou de satisfaction. Elles comportent une énorme importance et une lourdeur, les situations, les gens. Vous vous tournez vers le monde pour l’épanouissement. C’est pourquoi tout ce qui arrive est pris avec tant de sérieux aussi longtemps que la dimension transcendante n’est pas arrivée dans votre vie. C’est pourquoi tout le monde est si préoccupé et dans la peur, dans l’attente de choses que le monde ne peut pas lui donner.

 

Dans une certaine mesure, la dimension transcendante relâche l’attachement absolu aux choses de ce monde, les situations, les endroits, également les relations. Elle apporte un sentiment d’espace de liberté. Vous pouvez apprécier les endroits, les situations, les gens. Ce qui ne marche plus, c’est la qualité de dépendance qu’ont ces expériences dans l’état d’inconscience et c’est la différence essentielle, une énorme différence :

 

Rechercher avidement l’expérience sensorielle, les expériences existentielles, vouloir en connaître davantage, incluant les expériences tragiques qui peuvent engendrer beaucoup de dépendance, rechercher avidement des expériences, rechercher l’épanouissement à travers les expériences sans jamais le trouver vraiment pour longtemps. Il y a une addiction derrière cela. L’addiction a beaucoup plus d’implications que ce que l’on entend d’habitude en parlant de l’addiction aux substances et autres. Dans l’état d’inconscience, il y a une addiction aux expériences, parce qu’on attend quelque chose de l’expérience qui n’est finalement pas là, si bien qu’il y a une tendance à s’emparer des choses avec avidité, quoi que ce soit : des expériences relationnelles, des expériences sexuelles .

 

Tout cela est très bien, mais il s’agit de savoir si l’élément « addiction » s’y trouve. Une recherche avide du drame, des drames de la vie, le besoin inconscient d’éprouver le drame, la recherche avide des expériences sensorielles, incluant le manger qui peut devenir compulsionnel. Il peut y avoir une dépendance à la nourriture. L’apprécier, c’est très bien, mais sans la dimension transcendante dans votre vie, il y a une avidité. C’est différent d’une personne à l’autre, en fonction du domaine principal de son avidité. Le domaine principal de son avidité peut être la nourriture, la sexualité, les relations. Pour beaucoup de gens, c’est l’argent où leurs investissements revêtent une importance absolue. Dès qu’ils se mettent à en parler, vous pouvez remarquer combien ils sont agités, déséquilibrés, inconscients.

 

Il y a même le besoin compulsionnel de vivre des émotions fortes, voire en allant se mettre en danger. Pourquoi est-ce qu’on recherche avidement le danger ? Certaines personnes recherchent effectivement des expériences extrêmes. On fonctionne ainsi pour en éprouver un ressenti approfondi de vie. Évidemment, c’est très fugitif et il y a toujours l’impression forte que ça n’est pas suffisant. On recherche alors inlassablement une nouvelle chose.

 

Et si vos possibilités sont très limitées, si votre vie personnelle est limitée, peut-être ne pouvez-vous pas voyager ou vous n’avez pas la possibilité de vivre diverses sortes de relations, vous êtes bloqués. Vous pouvez toujours aller dans le monde du rêve, imaginer des expériences et vous y perdre complètement. Vous pouvez encore vous rabattre sur des livres, sur des romans ou autres et fuir là où quelqu’un d’autre est vivant, plein de tempérament et qui est encore tout comme vous, avide d’expériences.

 

Ce n’est donc qu’une sorte d’existence tout à fait normale tant que la dimension transcendante n’est pas là, la poursuite des expériences en croyant que se trouve là quelque solution pour sa vie, en changeant ceci ou cela dans le monde extérieur de l’expérience. Cela transforme la vie en une recherche frustrante de réponse qui ne s’y trouve pas. Arrive alors la dimension transcendante et votre relation à l’expérience change. Elle devient spacieuse. L’élément « avidité », l’aspect « dépendance » dans votre approche des expériences commence à se dissiper et votre aptitude à apprécier les expériences est en fait accrue.

 

Quand vient la dimension transcendante, le silence, l’espace, la présence vigilante, quelle que soit l’expérience que vous vivez dans votre vie, cette dimension devient toujours une partie essentielle de l’expérience. Avant, par exemple, il n’y avait que le plaisir de manger, avec l’aspect « dépendance », l’avidité . . . Vous êtes totalement dedans, cela vous envahit. Et maintenant, il y a un espace pendant que vous appréciez la nourriture. Vous pouvez en apprécier le goût. Vous pouvez apprécier un repas.

 

Avant, il y avait une consommation avide ; ce n’était pas le véritable plaisir. Tous ces gens qui sont continuellement en quête, avide d’expériences, ne les apprécient pas vraiment. Il semble parfois qu’ils sont dans le plaisir, mais ce n’est pas le cas. Ils ne s’amusent pas vraiment, pour utiliser une expression familière et évoquer le véritable plaisir. Ils ne s’amusent pas vraiment. Tous ces gens qui courent après des choses ne s’amusent pas vraiment (pour utiliser cette expression).

 

Si vous voulez vous amuser, la dimension transcendante doit être là et elle devient la partie essentielle de chaque expérience, la dimension ajoutée à toute expérience. Et vous êtes alors assis là et vous appréciez la nourriture, mais vous n’avez pas besoin de manger plus que le corps ne le veut en réalité. Vous appréciez ce qui est là. Vous appréciez les activités, faisant ceci ou cela, sans l’avidité désormais.

 

Voilà pourquoi, pour en revenir à la question posée ici et à mon interprétation, votre rapport aux expériences change. Et c’est une partie essentielle de l’éveil. C’est une grande liberté. Cela implique également, quand des choses vous arrivent, lesquelles vous auraient avant rendus malheureux, auraient provoqué une sorte de souffrance, autrement dit des expériences qui auraient été jugées « mauvaises » ou « désagréables », qu’il y ait également maintenant la liberté d’être avec cela en se sentant toujours connecté avec la paix sous-jacente, même pendant que l’expérience extérieure devient négative (ce que le mental juge tel), mauvaise, déplaisante.

 

Bien sûr, votre existence est faite d’expériences diverses, l’expérience des choses qui se dissolvent, des choses qui vous sont retirées, parce que dans la vie, il y a le jeu continu du gain et de la perte, l’expérience des choses qui se passent mal, à savoir de façon contraire à vos attentes. Or, vous êtes capables d’être avec ce qui est, parce qu’il y a là l’espace que vous accordez à toute expérience.

 

D’une part, l’expérience n’est plus envisagée pour l’épanouissement, parce que vous savez qu’elle ne peut offrir cela, et d’autre part, l’expérience n’a plus le pouvoir de vous rendre malheureux, quand quelque chose disparaît, quand des expériences ne sont pas agréables au niveau sensoriel. Il y a alors la profondeur ajoutée à qui vous êtes. Donc, si vous vous retrouvez en rade dans un trou perdu, sous la pluie et dans le froid, la profondeur de la présence étant là également, vous pouvez être avec la situation sans la transformer en souffrance.

 

Aucune expérience n’est alors transformée en souffrance. Il peut encore y avoir de l’inconfort ou de la douleur sur le plan physique, mais vous ne transformez plus certains types d’expériences en souffrance. Oui, le désagréable peut toujours être là, l’inconfort, même la douleur physique, mais non pas la souffrance. C’est seulement quand l’expérience revêt pour vous une importance absolue qu’elle peut tourner en souffrance.

 

Quand l’expérience n’a pas pour vous d’importance absolue, mais seulement une importance relative – parce que l’absolu, c’est ici votre présence. C’est cela l’absolu, la présence inconditionnée. C’est cela l’absolu – le relatif perd alors le pouvoir de vous rendre malheureux ou de causer de la souffrance, parce que vous ne vous tournez pas vers lui pour l’épanouissement personnel absolu. L’épanouissement ne se trouve que dans la dimension transcendante.

 

Toutes les expériences deviennent un ajout, un surcroît. Elles sont la cerise sur le gâteau, pourrait-on dire. C’est quelque chose qui est ajouté à qui vous êtes. Comme le disait Jésus : « Ne vous intéressez qu’à l’Absolu. Cela devrait être votre intérêt principal ». Je ne sais pas s’il a dit cela ; je le paraphrase ici en toute liberté. « Ne vous intéressez qu’à l’Absolu, le Royaume des Cieux, ce qui est votre état intérieur de pure présence. Tel est votre tâche principale et le reste de votre vie trouvera sa place, s’en occupera tout seul ». Et il en est ainsi.

 

La vie devient alors tellement plus facile quand le reste de la vie trouve sa place. Et même si les choses ne se déroulent pas comme elles devraient, c’est bien également. Vous pouvez être avec ça et n’ajoutez pas de la réaction négative à cet événement qui provoque davantage d’événements négatifs. À chaque fois que vous ajoutez une réaction négative à un événement, sur le plan des causes et des effets, vous provoquez plus de négativité, non pas seulement pour vous-mêmes, mais également dans la totalité de la conscience collective. Or, vous ne pouvez être libérés de la tendance à surajouter de la négativité aux événements que lorsque vous ne dépendez pas des événements pour votre bonheur, votre bien-être et votre paix intérieure.

 

Alors, quand l’événement tourne mal, qu’il ne se présente plus comme vous aimeriez, nul besoin de lui surajouter de la négativité, vous lui permettez de se dissiper ou de faire ce qu’il fait. Vous pouvez aussi faire des actions. Il y a là une chose essentielle : est-ce que vous ajoutez quelque chose à travers la résistance ? Pourquoi est-ce que vous résistez à un événement ou à quelque chose qui arrive ? Parce que vous voulez qu’il soit différent de sorte que vous vous sentiez bien. Le mental dit : « La manière dont l’événement se produit maintenant ne me fait pas me sentir bien, épanoui, heureux ». Mais c’est là : « Il me rend donc malheureux ». Vous y résistez. La négativité survient, la peine arrive. Et s’ensuivent plus d’événements négatifs.

 

Vous remarquerez comme les situations qui semblent négatives, d’un point de vue conventionnel, se dissolvent rapidement quand vous leur enlevez le négatif et voyez que chaque événement est tel qu’il est dans l’instant. Il est sans la négativité qui provient de votre mental. Elle ne se trouve pas dans la situation. Rien n’est ni bon ni mauvais, mais le penser le rend ainsi. Vous surajoutez cela. Et cela attire plus de négativité, de choses désagréables, etc.

 

Donc, soyez content – je parle à la personne qui a posé la question, mais c’est la question et l’expérience de tout le monde – soyez content du fait que la façon dont vous vivez la vie ait changé et que l’aspect « addiction » ait quitté votre expérience de la vie. Et rendez-vous alors compte que vous appréciez en réalité toute chose de façon véritable maintenant quand vous n’en avez plus besoin pour votre véritable bien-être. Vous n’avez pas besoin de retirer de satisfaction ultime de quelque expérience que ce soit. C’est un changement incroyable. Je le répète : vous n’avez plus besoin de retirer de satisfaction ultime de quelque expérience que ce soit. Cela ne peut pas marcher.

 

Vous allez alors à l’endroit où réside la satisfaction ultime et ce n’est pas une expérience. La présence n’est pas une expérience. C’est parfois nommé ainsi, une expérience de présence, parce qu’au début chez certaines personnes, la présence émerge et n’est plus là ensuite. Il semble alors qu’elles aient fait l’expérience de la présence, mais ce n’est pas une expérience en réalité, parce que cela n’a pas de forme. C’est ce qui sous-tend toutes les expériences ; c’est l’espace pour toutes les expériences.

 

Vous êtes donc libres par rapport au monde des expériences. Il y a maintenant la liberté, la liberté d’apprécier et la liberté de permettre d’être aux choses que vous ne pouvez peut-être pas apprécier en tant qu’expérience, mais elles ne vous rendent plus malheureux. C’est la fin de la négativité.



11/07/2014
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi