Eckhart Tolle « L’imitation »

De temps en temps, je vous ai fait partager un livre, des livres qui m’ont été chers pendant des années et qui, je crois, seront utiles à tous. Ce sont des livres qui contiennent un message qui va bien au-delà, qui transcende l’époque où ils ont été écrits. Ce sont donc des livres qui contiennent l’enseignement spirituel intemporel ou le message spirituel intemporel qui est toujours pour nous aujourd’hui aussi utile qu’il le fut pour les gens de l’époque où il a été écrit.

 

Le livre le plus ancien dont nous avons parlé il y a quelque temps – peut-être vous le rappelez-vous – est le Tao-Tê-King, (voir Eckhart Tolle – « Le Tao-Te-King » – Partie 1 et Partie 2) écrit il y a deux mille cinq cents ans. Nous avons également eu deux ou trois livres vieux de deux mille ans. Nous avons parlé de Marc Aurèle, de ses méditations et des enseignements du philosophe Épictète. J’ai reçu des retours de gens qui ont trouvé cela très utile.

 

Les messages sont donc aujourd’hui aussi puissants qu’au temps où ils ont été écrits. Donc, pour aujourd’hui, j’ai une surprise en réserve pour vous, un autre livre et cette fois, c’est un livre qui nous vient du Moyen Âge, écrit il y a environ 550 ans. Et pendant plusieurs siècles, ce livre a été considéré comme l’un des livres spirituels les plus importants dans la tradition chrétienne, mais vous n’avez pas besoin d’être un chrétien pour bénéficier de l’enseignement contenu dans ce livre. En fait, je suis sûr qu’il y a aujourd’hui beaucoup de chrétiens évangéliques pour qui l’enseignement contenu dans ce livre serait aussi étranger que le bouddhisme tibétain.

 

Le livre s’intitule L’Imitation de Jésus-Christ, L’Imitation de Jésus-Christ. De nos jours, le terme « imitation » a une connotation négative, mais à l’époque, tout ce qu’il voulait dire était « copier », « être le même que ». Le livre nous enseigne donc à imiter Jésus-Christ, ce qui veut dire « devenir comme Jésus-Christ », faire un avec le Christ, faire un avec Dieu.

 

L’auteur du livre était un moine né en 1380. En tout premier lieu, laissez-moi vous montrer le livre. C’est une édition de luxe, publié en Angleterre par la Société Folio : L’Imitation de Jésus-Christ Et l’auteur s’appelle Thomas a Kempis, Thomas a Kempis. Cela veut dire « Thomas de Kempen », Kempen étant une petite ville du nord-ouest d’Allemagne, au bord du Rhin, proche de la frontière hollandaise. Donc, il est généralement connu sous le nom de Thomas de Kempis, une version latinisée de Kempen, la ville d’où il vient.

 

Thomas a Kempis est donc né en 1380 et il vécut jusqu’à l’âge de 90 ans, ce qui est très rare en ces temps-là. C’était bien sûr un moine, parce que pratiquement tous les livres écrits au Moyen-âge étaient écrits par des moines pour la bonne raison que personne d’autre ne savait lire et écrire, presque personne d’autre. Les livres qui étaient écrits et lus étaient donc écrits et lus par des moines.

 

L’Imitation de Jésus-Christ est un livre qui contient des chapitres courts. Le livre n’a pas besoin d’être lu en suivant. Vous pouvez l’ouvrir à n’importe quelle page et lire un chapitre. Il n’y a pas de développement, d’argumentation, ni rien d’autre. Chaque chapitre est simplement destiné d’une part à vous rendre conscient de ce qui vous sépare de votre véritable soi ou identité, bien qu’il n’utilise pas ces termes. Vous devenez donc plus conscients de vos schémas intérieurs, des schémas égoïques. Là encore, il n’utilise bien sûr pas le terme « ego » ; il utilise d’autres mots comme nous le verrons. Et d’autre part, le livre traite du fait de la souffrance et de la façon d’approcher la souffrance humaine.

 

Le livre a été bien sûr écrit au départ en latin et fut traduit plus tard dans les autres langues européennes. La traduction que j’utilise ici aujourd’hui est une traduction qui a été faite il y a deux ou trois cents ans. Elle est très ancienne. La langue anglaise est donc du vieil anglais et le livre a été légèrement révisé au début du XXe siècle. Je pense que cela reflète très fidèlement l’esprit de l’original, cette sorte de langue. Il y a eu d’autres traductions dans les temps plus récents en anglais contemporain, mais en en parcourant un ou deux, j’ai senti immédiatement que cela ne marchait pas pour ce genre de textes. Donc, en vous lisant de courts extraits, ce que je vais faire en les commentant ensuite, je crois que vous vous habituerez vite à la langue. Cela peut sembler au départ un peu inconnu.

 

Donc, Thomas a Kempis, L’Imitation de Jésus-Christ. Regardons un peu. Rappelez-vous qu’en réalité, nous n’étudions pas quelque chose d’extérieur à nous. Ce n’est donc pas une démarche intellectuelle. Le début de mon intervention donne l’impression qu’on serait au lycée ou à la faculté, mais ce n’est pas ainsi que nous abordons les choses ici. Nous n’étudions pas vraiment un livre. Nous n’étudions pas vraiment un texte. Pourquoi faudrait-il le faire ?

 

Ce que nous faisons, c’est utiliser le texte pour nous regarder nous-mêmes. Nous nous regardons donc à travers cet enseignement. Chaque enseignement spirituel est ici de sorte que nous puissions le diriger sur nous-mêmes. L’enseignement spirituel n’a pas d’intérêt. L’enseignement spirituel dirige votre attention sur vous-mêmes. Il dirige votre attention au départ sur les obstacles en vous-mêmes, les obstacles à l’éveil, sur l’ego, et il dirige ensuite votre attention sur les niveaux plus profonds en vous-mêmes, sur la dimension spirituelle, ce qui demeure quand vous traversez les obstacles de telle sorte qu’ils n’obscurcissent plus votre conscience, la conscience de qui vous êtes.

 

Simplement, votre conscience n’est plus obscurcie. C’est le but même de tous les textes spirituels, qu’ils remontent à 2500 ans ou qu’ils soient contemporains. La seule valeur de tout enseignement spirituel se trouve en cela : il dirige votre attention sur cela. Il vous éveille de diverses manières.

 

Maintenant, chaque enseignement présente bien sûr certaines limitations qui dépendent de la période d’où il provient. Cet enseignement présente donc également des limitations. C’est un enseignement médiéval. D’une certaine manière, le Moyen Âge, l’époque médiévale nous est très étrangère de nos jours, habituellement considérée comme l’âge sombre. Bien sûr, c’est vrai qu’il y avait à cette époque un nombre incroyable de superstitions, beaucoup d’ignorance, de cruauté, de violence, d’insécurité totale. Tout cela est vrai.

 

Mais il est également vrai qu’il y avait à cette époque des êtres humains qui, en dépit de tout cela, peut-être non pas en dépit, mais peut-être à cause de l’insécurité totale de ces temps-là, qui ont pu avoir accès à la dimension plus profonde en eux-mêmes et qui se sont éveillés spirituellement, qui sont devenus de grands mystiques. Ils étaient appelés mystiques. Bien sûr, ils vivaient tous dans la structure de la religion chrétienne et de la terminologie chrétienne bien que beaucoup des plus grands mystiques étaient considérés comme suspects par la hiérarchie de l’église. C’était trop dangereux, trop vivant, trop menaçant pour l’ego collectif et pour l’ego personnel.

 

Bon, regardons cela maintenant ! Au début, comme je l’ai dit, la langue peut vous paraître peu familière, plutôt étrange, mais nous irons très vite plus profondément dans le texte de sorte que la langue ne soit plus un problème. Je vous ai montré cette édition de luxe que je n’ai pas depuis longtemps, mais je vais lire à partir de cette petite édition ici qui est plus ou moins la même, un livre que j’ai depuis 25 ans. Je n’ai retiré que récemment la couverture poussiéreuse, ce qui fait qu’il a de nouveau l’air neuf et beau. Commençons avec quelque chose de simple.

 

Un petit chapitre. Je ne vais peut-être pas lire tout le chapitre. Il ne fait qu’une page et demie : De la considération de soi.

 

Nous ne devons pas trop compter sur nous-mêmes, parce que souvent la grâce et le jugement nous manquent. Nous n’avons en nous que peu de lumière, et ce peu, il est aisé de le perdre par négligence. Souvent nous ne nous apercevons pas combien nous sommes aveugles au-dedans de nous.

 

Comme c’est encore vrai aujourd’hui ! « Souvent nous ne nous apercevons pas combien nous sommes aveugles au-dedans de nous ». La difficulté dont il parle, c’est savoir, c’est reconnaître nos propres schémas : les jugements réactionnels, la négativité. Autrement dit, il s’agit des schémas égoïques et de l’incapacité à être conscient que vous êtes toujours animés par des schémas inconscients. Dans beaucoup de chapitres, il retire notre attention du monde extérieur pour que nous puissions la diriger à l’intérieur.

 

Comme je le dis souvent, ce qui est vraiment important à chaque instant, peu importe ce que vous faites et où vous êtes, ce qui est plus important et plus fondamental que tout ce qui se passe en dehors de vous, c’est ce qui se passe en vous. Si vous perdez la conscience de ce fait, vous vous perdez dans le monde extérieur. Dans une minute, nous verrons quelques belles petites citations à ce sujet.

 

Souvent nous ne nous apercevons pas combien nous sommes aveugles au-dedans de nous. À de mauvaises actions souvent nous donnons de pires excuses.

 

Un schéma égoïque très courant consiste à se trouver des excuses et des justifications. C’est facile de le reconnaître chez les autres. Ils font des choses stupides, agissent inconsciemment et si vous relevez quelque chose, l’ego se protège immédiatement. Il trouve immédiatement des justifications. C’est un mécanisme égoïque automatique de protection, comme je l’ai dit, facile à reconnaître chez autrui, mais cela requiert plus de conscience pour le reconnaître en soi-même.

 

Quelquefois nous sommes mus par la passion et nous croyons que c’est par le zèle.

 

Dans tout le livre, le terme « passion » est utilisé dans un sens négatif. Il ne veut pas dire ce qu’il signifie en anglais moderne. Il veut dire ici « réaction », être possédé par des schémas réactionnels mentaux et émotionnels. Et nous confondons la passion avec le zèle, ce qui veut dire que nous la prenons pour quelque chose de bon, comme l’enthousiasme, l’énergie qui circule dans ce que nous faisons.

 

Nous relevons de petites fautes dans les autres et nous nous en permettons de plus grandes. Nous sentons bien vite et nous pesons ce que nous souffrons des autres; mais tout ce qu’ils ont à souffrir de nous, nous n’y songeons point. Qui se jugerait équitablement soi-même, sentirait qu’il n’a droit de juger personne sévèrement.

 

Cela se passe d’explications. Si vous étiez vraiment conscients de vos propres schémas, vous ne jugeriez plus autrui sévèrement. Notre tâche consiste donc à devenir plus conscient de nos propres schémas égoïques d’instant en instant dans les situations. Au fait, tout le texte est écrit ici au masculin, selon l’époque, et quand il dit « homme », par exemple, il vous faut ajouter « femme ». D’ailleurs, l’anglais n’a malheureusement pas de mots qui incluent homme et femme comme en allemand. Il n’a pas écrit en allemand, mais il y a « Mensch » en allemand. Le juif utilise aussi « Mensch », mais avec une connotation légèrement différente. Yiddish, voulais-je dire. Donc, à chaque fois que vous lisez « homme », pensez « être humain ».

 

Un « homme intérieur » préfère le soin de soi-même à tout autre soin. Cela veut dire que ce qui importe le plus, c’est regarder en soi-même.

 

Et lorsqu’on est attentif à soi, on se tait aisément sur les autres.

 

Il parle ici d’un « homme intérieur » et là encore, « homme intérieur » est une expression qui est fréquemment utilisée, l’être humain intérieur. Il parle de l’être humain conscient, l’être humain au niveau de la conscience plutôt que l’être humain au niveau du penser inconscient. Donc, l’homme intérieur, l’être humain intérieur est le niveau de la conscience, qui vous êtes au niveau de la conscience, parce que – et c’est une distinction essentielle – la plupart des gens qui ne sont pas éveillés, pas conscients spirituellement vivent exclusivement au niveau du penser, ainsi que des émotions qui sont générées par le penser.

 

Donc, l’homme intérieur est la dimension de qui vous êtes à la dimension plus profonde, au niveau plus profond de conscience. C’est un changement. Quelle différence d’être quand il se produit à partir du penser ! L’être pensant, vous pouvez dire l’être humain extérieur passe à l’être humain intérieur. Et bien sûr, beaucoup de gens fluctuent aujourd’hui. Beaucoup de gens vivent un éveil et fluctuent entre le fait d’être l’entité pensante, l’être pensant, et le fait d’être la conscience éveillée, le soi plus profond.

 

Vous ne serez jamais un homme intérieur et vraiment pieux, si vous ne gardez le silence sur ce qui vous est étranger, et si vous ne vous occupez principalement de vous-même.

 

Il donne un conseil ici : de ne pas engager l’homme extérieur ou l’être humain extérieur, de ne pas l’engager, de ne pas l’alimenter, de ne pas céder à la tendance mentale à vouloir juger. C’est la tendance égoïque à vouloir juger les autres.

 

« Gardez le silence sur ce qui vous est étranger » : si vous pouvez relâcher la tendance quasi compulsionnelle à parler de ce que font les autres, de façon généralement critique, vous n’alimentez plus cette habitude mentale. Le livre a été écrit principalement pour des moines et peut-être aussi des religieuses, pour les gens qui vivaient dans des monastères. Personne d’autre ne savait lire de toute façon. Il se réfère donc souvent à des situations qui arrivent dans les monastères, mais au fond, c’est la même chose que dans la vie quotidienne puisqu’il s’agit de l’interaction humaine. Et être dans un monastère est le même défi que se retrouver ici au XXIe siècle dans l’existence quotidienne.

 

Si vous n’avez que Dieu et vous-même en vue, vous serez peu touché de ce que vous apercevrez au-dehors.

 

Si vous n’avez que Dieu et vous-même en vue, vous serez peu touché de ce que vous apercevrez au-dehors. Donc, en plaçant plus d’attention à l’intérieur, où vous devenez conscients de vos schémas et également de Dieu, ce qui est la lumière de la conscience en vous-mêmes, ce qui se passe en dehors de vous n’a plus ce pouvoir sur vous. Dans une certaine mesure, vous vous libérez de la possibilité d’être contrôlé par les événements extérieurs. Tout l’enseignement pointe vers cela. Vous pouvez répondre aux événements extérieurs, mais votre état intérieur n’est plus contrôlé par ce que quelqu’un dit ou fait, ni par ce qui se passe autour de vous.

 

Donc, encore une fois : Si vous n’avez que Dieu et vous-même en vue, vous serez peu touché de ce que vous apercevrez au-dehors.

 

Où êtes-vous quand vous êtes absent de vous-même ? « Absent de vous-même », qu’est-ce qu’il dit ? Quand vous n’êtes pas présents ! Où êtes-vous alors ? Vous dormez ! « Où êtes-vous quand vous êtes absent de vous-même ? » Donc, ramené à notre enseignement, où êtes-vous quand vous n’êtes pas présents ? Vous n’êtes pas là, vous êtes endormis. Des schémas inconscients vous animent et prétendent être vous. C’est l’existence normale.

 

« Et que vous revient-il d’avoir tout parcouru, et de vous être oublié ? » Même si vous obtenez toutes sortes de choses, si vous n’êtes pas plus conscients, où est l’intérêt ? De plus, à la fin, cela vous rendra malheureux.

 

Nous voyons donc l’essence ici, exprimée en langage ancien, mais d’une manière ou d’une autre, nous pouvons reconnaître combien ce message est toujours essentiel, parce qu’il parle de l’ego humain.

 

Maintenant, quelque chose d’un autre chapitre, très important. Au fait, les paroles semblent être parfois prononcées par Dieu. C’est peut-être une ancienne version de « Conversation avec Dieu ». Et de temps en temps, il y a même ici un dialogue entre – disons – l’écrivain et Dieu ou la conscience supérieure (vous l’appelez comme vous voulez).

 

L’écrivain ou le lecteur est interpellé ici :

 

Mon fils, en tous lieux, dans tout ce que vous faites, en tout ce qui vous occupe au-dehors, vous devez vous efforcer de demeurer libre intérieurement et maître de vous-même, de sorte que tout vous soit assujetti et que vous ne le soyez à rien. Ayez sur vos actions un empire absolu; soyez-en le maître et non pas l’esclave. Tel qu’un vrai Israélite, affranchi de toute servitude, entrez dans le partage et dans la liberté des enfants de Dieu qui, élevés au-dessus des choses présentes, contemplent celles de l’éternité, qui donnent à peine un regard à ce qui passe et ne détachent jamais leurs yeux de ce qui durera toujours.

 

Regardons maintenant ce que je viens de lire. En tous lieux, dans tout ce que vous faites, en tout ce qui vous occupe au-dehors, vous devez vous efforcer de demeurer libre intérieurement et maître de vous-même, de sorte que tout vous soit assujetti et que vous ne le soyez à rien.

 

En d’autres termes, ne soyez pas l’esclave des choses, des choses qui se passent à l’extérieur de vous, des choses matérielles réelles, des choses qui se passent. Ne vous perdez pas, comme je le dis parfois, ne vous perdez pas dans les choses ; ne vous perdez pas dans le monde ; ne vous perdez pas dans vos pensées qui sont également des choses, tout cela est la forme, le monde de la forme.

 

Il utilise ici une belle formule : « De sorte que tout vous soit assujetti et que vous ne le soyez à rien ». Et même de nos jours, pour la plupart des gens, cela n’est pas encore vrai, pas encore le cas. Ils sont assujettis aux choses ; ils sont totalement contrôlés. Ils donnent toute leur attention aux choses dans leur vie que j’appelle la situation existentielle. La situation existentielle absorbe complètement votre attention. Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’est-ce qu’est la situation existentielle ?

 

La situation existentielle est votre santé, vos finances, vos relations, là où vous vivez, ce qui constitue votre gagne-pain, votre travail… Toutes ces choses, vos relations, votre famille, constituent votre situation existentielle et bien sûr, pour la plupart des gens, ces choses prennent toute leur attention. Donc, leur attention ou leur conscience est complètement absorbée par leur situation existentielle qui existe dans le temps.

 

Et ce qu’ils manquent, je le formule ainsi, ce qu’il manque, c’est la vie. Ce qu’ils ne réalisent pas, c’est quelque chose de plus profond et de plus essentiel que leur situation existentielle qui n’est accessible que dans le moment présent et que j’appelle « la vie », mais vous pouvez aussi l’appeler la conscience, la présence ou Dieu. Vous manquez donc ce qui est réellement important, l’aspect vivant de la vie, la profondeur en vous. Et vous passez toute une existence à courir à la surface de votre vie.

 

C’est une façon de le dire ou, comme il le suggère, les choses sont au-dessus de vous, vous n’êtes pas au-dessus des choses. Vous êtes sous les choses, surchargés des choses. Et il pointe vers la possibilité – j’en parle tout le temps, bien sûr, en termes différents – la possibilité de vivre d’une autre manière où vous devenez conscients de la dimension sans forme en vous-mêmes, la conscience, la présence, l’espace intérieur, selon comment vous voulez l’appeler.

 

Et il y a une image magnifique qu’il utilise ici en pointant vers la possibilité que vous soyez « des enfants de Dieu qui, élevés au-dessus des choses présentes, contemplent celles de l’éternité, qui donnent à peine un regard à ce qui passe et ne détachent jamais leurs yeux de ce qui durera toujours. »

 

Ce que cela veut dire : l’art de vivre consiste à trouver un équilibre entre le monde de la forme, toutes les choses qui constituent votre situation existentielle, le monde de la forme qui change continuellement autour de vous… Oui, vous avez à composer avec ; oui, vous devez lui accorder de l’attention et il requiert des actions, ceci, cela, mais s’il absorbe toute votre attention, vous y êtes perdus. Il pointe donc vers la possibilité de donner à cette dimension l’attention qu’elle mérite et que j’appelle la situation existentielle, qu’il appelle ici « ce qui passe ».

 

Vous accordez un regard – de l’oeil gauche – à ce qui passe. Cela veut dire qu’une moitié de votre attention est pour votre situation existentielle et pour quoi que ce soit qui doit être accompli là. De l’oeil droit, vous contemplez « ce qui durera toujours », l’éternel. Cela veut dire que dans toute situation, il y a une dimension de la forme, vous ici en tant que corps, la personne, les pensées qui émergent, les relations, les affaires à traiter, sans perdre la conscience de la dimension sous-jacente de la conscience elle-même, ce que j’appelle parfois l’espace intérieur ou la présence, la conscience de l’arrière-plan, l’espace à l’arrière-plan de votre vie, l’espace intérieur qui est toujours là, en quoi tout apparaît et disparaît.

 

Et c’est l’essence de tout enseignement spirituel afin que vous ne vous perdiez pas dans le monde, lequel est votre mental, sans nier le monde complètement. Pour l’instant, identité en tant que forme, vous faites partie de ce monde et il y a ensuite l’identité en tant qu’essence qui n’a pas de forme. Ce n’est pas quelque chose en quoi il faille croire. C’est quelque chose à réaliser ici et maintenant. Dès que le mental s’apaise, c’est là. Dès l’instant où vous acceptez totalement la forme du moment présent, vous sentez un espace à l’arrière-plan. C’est là.

 

Oui, quelle belle image ici ! « Des enfants de Dieu qui, élevés au-dessus des choses présentes, contemplent celles de l’éternité, qui donnent à peine un regard à ce qui passe et ne détachent jamais leurs yeux de ce qui durera toujours. » La danse entre la forme et le sans-forme, la danse entre le temporel et l’éternel.

 

Voyons un peu maintenant un autre chapitre. Comme vous le voyez, vous pouvez ouvrir le livre à n’importe quelle page. Il est idéal pour la lecture méditative.

 

Celui qui vit au-dedans de lui-même et qui s’inquiète peu des choses du dehors, tous les lieux lui sont bons et tous les temps pour remplir ses pieux exercices. Un homme intérieur se recueille bien vite parce qu’il ne se répand jamais tout entier au-dehors. Les travaux extérieurs, les occupations nécessaires en certain temps, ne le troublent point; mais il se prête aux choses selon qu’elles arrivent.

 

Intéressons-nous au moins à deux phrases qui sont très importantes. « Un homme (un être humain) intérieur se recueille bien vite parce qu’il ne se répand jamais tout entier au-dehors. » C’est une belle manière de l’exprimer. L’homme intérieur, de nouveau, nous l’avons vu tout à l’heure, pointe vers qui vous êtes au niveau de la conscience, l’être non conditionné, l’intemporel en vous, l’essence de qui vous êtes, l’être intérieur se recueille bien vite. Un homme intérieur ne se perd jamais complètement à l’extérieur. Il se recueille bien vite, parce que… Je vais le reformuler légèrement en langage moderne. Il ne se répand jamais tout entier au dehors.

 

Se répandre dans les choses extérieures, se perdre complètement dans les choses extérieures. Vous pouvez observer cela tout le temps. Avant de regarder en vous, regardez les autres autour de vous comme ils se perdent avec le plus petit défi qui se présente, sous la forme d’un contretemps inattendu, quelque chose qui ne va pas ici ou là, une situation difficile, une personne qui ne fait pas ce qui est attendu d’elle… Pour quoi que ce soit, les gens se répandent dans les choses extérieures et ces choses sont devenues d’une importance absolue.

 

C’est ce qu’il veut dire avec « se répandre au dehors, dans les choses. Et ultimement, bien sûr, vous vous répandez dans vos pensées. Chaque pensée qui apparaît prend complètement possession de vous. Vous y déversez toute votre attention. C’est une perte continuelle, c’est incroyable ! Vous pouvez le voir chez les autres. Attendez, vous allez voir ce qu’ils font quand se présente une épreuve. OK, vous reconnaissez cela, vous le reconnaissez chez les autres !

 

La prochaine étape : pouvez-vous le reconnaître en vous-mêmes ? Le faites-vous également ? Attendez la prochaine épreuve. Est-ce que cela vous tire complètement de vous-mêmes ? Et quand cela arrive, ne culpabilisez pas. Rien que remarquer que c’est ce qui arrive, c’est un gain énorme de conscience. Donc, vous ne culpabilisez pas : « Oh, je ne peux pas… ».

 

Tout schéma que vous remarquez en vous-mêmes indique qu’il y a là de la conscience. C’est quand vous ne le savez pas, que vous y êtes complètement piégés. Et si vous ne le savez pas, il n’y a pas grand-chose que vous puissiez faire, sinon qu’après que l’épreuve soit passée, vous pouvez peut-être revenir en arrière et vous dire : « Oh, je me suis à nouveau complètement perdu là-dedans ! ».

 

Ainsi, la conscience arrive après l’épreuve, ce qui est toujours mieux que pas de conscience du tout. Parce que s’il n’y a pas du tout de conscience, vous continuerez de justifier même la réaction la plus inconsciente pour vous-mêmes et pour les autres. L’ego est excellent pour trouver des excuses et des justifications. La façon la plus absurde de se justifier est un mécanisme de défense automatique de l’ego.

 

Si vous étiez très inconscients, vous ne seriez évidemment pas en train d’écouter cela. Je ne parle pas à des gens qui sont totalement inconscients, parce qu’ils n’écoutent pas. Ils ne le peuvent pas. Il n’y a pas d’espace en eux pour écouter cela. Sans un minimum d’espace en vous, vous ne pouvez pas écouter cela. Ce serait horrible, complètement insensé ou menaçant.

 

Donc, « se répandre tout entier au dehors ». Et la phrase suivante que je relis maintenant :

 

Les travaux extérieurs, les occupations nécessaires en certain temps, ne le troublent point. Traduit en langage moderne, quoi que vous fassiez à l’extérieur, quelle que soit l’action que vous posez, il n’y a pas de trouble, ce que vous faites n’importe vraiment pas. Mais quand les choses arrivent, vous vous y prêtez, vous suivez ce que requiert ce moment. Ce moment n’est pas un obstacle pour la conscience. C’est ce qu’il dit. Pour l’ego, toute chose est un obstacle. Or, c’est l’ego lui-même qui est l’obstacle.

 

Il y a alors la possibilité de s’accommoder au moment présent – c’est ce qui est réellement – et quelle que soit l’action requise dans le moment présent. Vous allez avec, c’est ce qui est requis. Et la conscience reste alors avec vous. Si vous réagissez contre ce qui est requis par le moment présent, la conscience est perdue et cela veut dire que vous êtes absents, non présents.

 

Si tout en vous était ajusté et si vous étiez purifié comme il se doit, les choses inclineraient au bien et en votre faveur.

 

Si tout en vous était ajusté et si vous étiez purifié comme il se doit, autrement dit si votre état intérieur de conscience était clair, présent, conscient, ce que veut dire « purifié », « les choses inclineraient au bien et en votre faveur » : même les choses apparemment négatives feraient votre bien. Vous utiliserez toute situation qui apparaît et elle se transformera en bien. « Apporter de l’eau au moulin » est une autre expression qui peut être utilisée pour décrire cela. Donc, tout cela arrive, des situations difficiles, des personnes difficiles… Vous devenez plus présents. Vous ne perdez plus la présence. Vous êtes plus vigilants. La vigilance, la présence apparaît au lieu de la réaction.

 

Rien n’embarrasse et ne souille tant le coeur de l’homme que l’amour impur des créatures.

 

Les créatures sont le monde de la forme et l’amour ou l’attachement aux créatures, aux choses créées revient à rechercher son identité, le soi, dans le monde de la forme. Cela veut dire souffrir. Comme il l’exprime, « Rien n’embarrasse et ne souille tant le coeur de l’homme ». Vous êtes embarrassés et souillés par les choses créées si vous recherchez une identité dans ceci ou cela, dans les possessions ou autres, ultimement dans les pensées qui émergent en vous.

 

Si vous rejetez les consolations du dehors, vous pourrez contempler les choses du ciel et goûter souvent les joies intérieures.

 

La joie survient à mesure que cette dimension est éveillée en vous.

 

Quel enseignement merveilleux !

 

Voici un petit chapitre intitulé « Éviter les jugements téméraires ». Et il dit :

 

Tournez les yeux sur vous-même, et gardez-vous de juger les actions des autres. En jugeant les autres, l’homme se fatigue vainement; il se trompe le plus souvent, et commet beaucoup de fautes; mais en s’examinant et se jugeant lui-même, il travaille toujours avec fruit.

Regardez-vous !

 

D’ordinaire nous jugeons les choses selon l’inclination de notre coeur, car l’amour-propre altère aisément en nous la droiture du jugement.

 

Qu’est-ce que cela veut dire ? « L’amour-propre altère aisément en nous la droiture du jugement. » Il dit qu’il y a en vous… Je le limiterais au mouvement de la peur et du désir. Il y a certaines choses que vous voulez ou que vous craignez, d’un autre être humain ou une situation, et vous jugez à travers votre peur ou votre désir sans même le savoir. Quoi que vous perceviez et jugiez, c’est coloré, déformé complètement par votre état intérieur, lequel est fondamentalement un état égoïque.

 

Votre égo a quelque problème et cela implique donc la peur et le désir. À partir de là, il interprète, les autres humains, les situations qui impliquent bien sûr des humains. Toutes les situations impliquent plus ou moins des humains. C’est déformé. En fait, vous ne voyez qu’un reflet de votre état intérieur et vous pensez composer avec la réalité.

 

Il dit ici à la phrase suivante :

 

Si nous n’avions jamais en vue que Dieu seul, nous serions moins troublés quand on résiste à notre sentiment.

 

C’est bien sûr une façon très commune de perdre la conscience. Cela arrive tout le temps. Regardez simplement autour de vous ou, encore mieux, regardez-vous vous-mêmes. On résiste à vos opinions, à vos points de vue et… Nous sommes facilement troublés, comme il le dit, pour nos opinions. Dès l’instant où quelqu’un résiste à vos opinions et vos points de vue, vous êtes troublés, contrariés, sur la défensive, en colère. Et pourquoi en est-il ainsi ?

 

Eh bien, il le dit ici : « Si nous n’avions jamais en vue que Dieu seul, nous serions moins troublés quand on résiste à notre sentiment. ». Si nous demeurons assez profondément dans la dimension de la présence consciente, nous ne sommes plus identifiés avec nos points de vue et nos opinions. « Plus identifiés » signifie bien sûr que nous ne nous recherchons plus en cela. Nous sommes donc libres de proposer nos opinions et points de vue sans y mettre l’élément du soi, parce que nous n’en avons pas besoin pour notre identification.

 

Nous demeurons déjà dans notre identité essentielle qui est la conscience. Nous sommes déjà ici en tant que la présence consciente, l’espace. À partir de cet espace, vous exprimez une opinion ou un point de vue. Si l’on y résiste, ce n’est plus une menace pour qui vous êtes. Cela n’a jamais été une menace pour qui vous êtes, mais c’était l’illusion. Vous considériez cela comme une menace pour qui vous êtes, pour votre identité, parce que vous étiez identifiés avec cela. Cela se produit tout le temps où que vous regardiez. Quelqu’un résiste à votre point de vue, le défie, vous voici contrariés d’une manière ou d’une autre, ce qui veut dire que vous n’êtes pas conscients.

 

Et la phrase suivante :


Beaucoup se recherchent secrètement eux-mêmes dans ce qu’ils font, et ils l’ignorent.

 

C’est vraiment étonnant, il avait des compréhensions psychologiques profondes à une époque où personne ne parlait de l’inconscient, ni d’aucune de ces choses, au Moyen Âge !

 

Beaucoup se recherchent secrètement eux-mêmes dans ce qu’ils font, et ils l’ignorent.

 

Je viens juste d’en parler, parce que vous vous cherchez vous-mêmes dans vos opinions et vos points de vue, complètement inconscients que cela n’est qu’une forme-pensée. Vous n’êtes pas enracinés dans l’être et là encore, une autre façon de le voir, comme on l’a vu dans un chapitre précédent, vous vous perdez continuellement dans les choses, dans la forme.

 

Voici la phrase suivante. Chaque phrase est un petit joyau. C’est si précieux ! Bon, pour faire le lien avec ce qui précède :

 

Beaucoup se recherchent secrètement eux-mêmes dans ce qu’ils font, et ils l’ignorent. Ils semblent affermis dans la paix lorsque tout va selon leurs désirs et jugements; mais éprouvent-ils des contradictions, aussitôt ils s’émeuvent et tombent dans la tristesse. » En colère ou n’importe quoi d’autre.

 

« Mais éprouvent-ils des contradictions » cela veut dire « s’il arrive quoi que ce soit », « aussitôt ils s’émeuvent et tombent dans la tristesse », dans la contrariété ou la colère. « Vous semblez affermis dans la paix lorsque tout va selon vos désirs et jugements », tant que vous n’êtes pas défiés, mais cela ne dure jamais longtemps. S’il vous arrive quelque chose, aussitôt vous vous émouvez et tombez dans la tristesse.

 

Et il continue ici : « La diversité des opinions produit souvent des discussions entre les citoyens, et même entre les religieux et les personnes dévotes. » Ils le font même dans les monastères. Ils sont identifiés avec leurs opinions et points de vue, et subitement, il y a conflits et agressions. Bien entendu, cela s’est produit à très grande échelle par l’ego collectif de l’ego à l’époque, parce que si vous n’étiez pas d’accord avec le point de vue collectif de ces temps-là, vous étiez considéré comme ennemi mortel ou, si vous aviez de la chance, ils vous mettaient en prison pour le reste de votre vie. Moins chanceux, vous étiez brûlés vifs ou torturés et brûlés ensuite. Pourquoi ? Un point de vue différent ! C’est l’ego, l’ego collectif.

 

On quitte difficilement une vieille habitude, et nul ne se laisse volontiers conduire au-delà de ce qu’il voit.

 

Autrement dit, tout le monde est piégé dans ses schémas mentaux : conditionnements, points de vue.

 

Voici la dernière phrase de ce chapitre :


Dieu veut que nous lui soyons parfaitement soumis, et que nous nous élevions au-dessus de toute raison par un ardent amour.

 

Je dirais que la raison veut dire en fait « penser ». « Dieu veut que nous lui soyons parfaitement soumis » : Dieu est bien sûr la réalité sans forme. « Et que nous nous élevions au-dessus de toute raison par un ardent amour. » Être enraciné dans le sans-forme est bien sûr aussi l’amour, parce qu’il ne s’agit pas de l’amour de la forme, ce qui est une vue égoïque de l’amour. Le véritable amour n’est pas l’amour d’une forme, de la forme humaine, ni d’aucune autre forme. Le véritable amour est la reconnaissance du sans-forme en l’autre, lequel est Dieu.

 

Donc, tout véritable amour est l’amour de Dieu, mais vous ne pouvez reconnaître le sans-forme en autrui que si vous reconnaissez le sans-forme en vous-mêmes. C’est seulement à partir du sans-forme en vous-mêmes que vous pouvez le reconnaître chez autrui. Il ne s’agit évidemment pas de le reconnaître visuellement. Vous ne pouvez pas voir le sans-forme, mais vous pouvez le sentir. Il faut pour cela qu’il y ait de l’espace en vous, parce que l’espace est cela, la présence, l’espace, le silence, le silence vigilant.

 

Regardons maintenant un aspect intéressant de son enseignement, à savoir la transformation de la souffrance en conscience. Il ne parle pas de la souffrance produite par le mental humain qui est pour beaucoup de gens une très grande partie de leur souffrance, mais la vraie souffrance. La vraie souffrance peut être physique ; elle peut être là lors d’une grande perte, un proche qui meurt ou toute autre grande perte, quelle que soit la souffrance.

 

Selon la tradition chrétienne médiévale, la souffrance est appelée « la croix » et Jésus est le prototype de l’humain souffrant. Il en est le grand exemple. Et cela fait partie d’une tradition médiévale plus grande. Quand vous souffrez, et c’est un moyen de transcendez la souffrance… Si cela marche toujours de nos jours ? Peut-être pas pour la plupart des gens. Mais à l’époque, cela marchait effectivement pour certaines personnes. Je ne sais pas combien. Toute leur souffrance était considérée en référence à la souffrance de Jésus sur la croix.

 

Jésus était donc le prototype et vous considériez alors votre souffrance comme participation à la souffrance du Christ. C’était considéré comme une sorte de pratique spirituelle. Cela peut vraiment être quelque chose de très puissant, parce que si vous utilisez cet archétype de la souffrance que Jésus représente, la souffrance humaine, Jésus représente tous les humains, l’humanité, tous les humains.

 

Et si vous pouvez sentir… À l’époque, il était possible pour beaucoup probablement de sentir qu’ils souffraient avec lui, en participant, et cela revient à relâcher toute résistance. Et bien sûr, le relâchement de toute résistance, en pouvant dire oui à tout ce qui arrive dans l’instant et qui peut être la souffrance, est la transcendance immédiate de l’ego.

 

Donc, dans des chapitres différents, il nous montre comment aller au-delà de la souffrance tout en embrassant la souffrance. Et même, quelque chose que nous pourrions de nos jours considérer comme un peu pervers, mais qui fait partie d’une tradition très ancienne, non pas seulement dans le christianisme, mais aussi dans l’hindouisme par exemple, il y a même « Bienvenue la souffrance ».

 

Maintenant, je ne vous demande pas d’aller dans ce sens, mais il s’agit d’un moyen, pendant des centaines d’années, encore pratiqué en Inde par pas mal de yogis, non seulement « Bienvenue la souffrance », mais de faire un pas de plus… Ne le faites pas, je vous prie, j’indique simplement ce qui est possible, ce que les humains ont fait bien que les humains d’aujourd’hui trouvent cela difficile à comprendre.

 

L’acceptation de la souffrance est une étape. C’est magnifique, parce que de toutes façons, que pouvez-vous faire d’autre si ce n’est pas de la souffrance générée par le mental ? Si elle est générée par le mental, il vous faut regarder votre mental, la façon dont il génère la souffrance, mais cela pourrait être de la souffrance physique.

 

Accepter la souffrance, même accueillir la souffrance et certains allaient jusqu’à pratiquement ou réellement créer de la souffrance pour eux-mêmes comme le font certains yogis en Inde. Vous avez le cliché célèbre de la planche avec des clous sur quoi ils dorment. Ils inventaient toutes sortes de choses, créaient de la souffrance.

 

Il est douteux que cela puisse vous libérer, parce que si vous créez de la souffrance dans le but de parvenir à la transcendance, il y a le risque énorme qu’au lieu de parvenir à la transcendance, vous parveniez au renforcement de l’ego, mais regardons ici ce qu’il appelle « La voie royale de la sainte croix ». Donc, la croix ou Jésus sur la croix représente la souffrance.

 

Allez où vous voudrez, cherchez tout ce que vous voudrez, vous ne trouverez pas au-dessus une voie plus élevée, au-dessous une voie plus sûre que la voie de la sainte Croix. Disposez de tout selon vos vues, réglez tout selon vos désirs, et toujours vous trouverez qu’il vous faut souffrir quelque chose, que vous le vouliez ou non; et ainsi vous trouverez toujours la Croix. Car, ou vous sentirez de la douleur dans le corps, ou vous éprouverez de l’amertume dans l’âme.

 

Tantôt vous serez délaissé de Dieu, tantôt exercé par le prochain, et, ce qui est plus encore, vous serez souvent à charge à vous-même. Vous ne trouverez à vos peines aucun remède, aucun soulagement; mais il vous faudra souffrir aussi longtemps que Dieu le voudra. Car Dieu veut que vous appreniez à souffrir sans consolations et que vous vous soumettiez à lui sans réserve, et que vous deveniez plus humble par la tribulation. La Croix est donc toujours préparée; elle vous attend partout. Vous ne pouvez la fuir, quelque part que vous alliez; puisque partout où vous irez, vous vous porterez et vous trouverez toujours vous-même. Élevez-vous, abaissez-vous, sortez de vous-même, rentrez-y; toujours vous trouverez la Croix;

 

Si vous portez de bon coeur la Croix, elle-même vous portera et vous conduira au terme désiré, où vous cesserez de souffrir; mais ce ne sera pas en ce monde. Si vous la portez à regret, vous en augmentez le poids, vous rendez votre fardeau plus dur, et cependant il vous faut la porter. Si vous rejetez une Croix, vous en trouverez certainement une autre, et peut-être plus pesante.

 

Bon, c’est un bel écrit. Il rappelle bien sûr l’enseignement du Bouddha, en particulier ici quand il dit « Vous ne pouvez fuir la croix, quelque part que vous alliez; puisque partout où vous irez, vous vous porterez et vous trouverez toujours vous-même ». Où que vous alliez et quoi que vous fassiez, il y aura quelque chose qui vous causera de la souffrance. Il dit encore : « Ou vous sentirez de la douleur dans le corps, ou vous éprouverez de l’amertume dans l’âme. » Vous êtes provoqués par votre prochain ou vous vous affectez vous-mêmes.

 

Bien sûr, le Bouddha parle du fait universel de « dukkha » qui veut dire aussi la souffrance quoique cela ne soit pas que la souffrance. Il englobe d’autres choses. Le terme bouddhique « dukkha » englobe toutes sortes d’insatisfaction, de non-épanouissement, de misère. Tout cela est dukkha. Donc, le Bouddha dit : « Où que vous alliez et quelles que soient les conditions que vous viviez, vous trouverez toujours l’élément « dukkha», en toute circonstance. Et c’est très vrai. Tout humain qui a vécu suffisamment longtemps remarquera que, où que vous alliez, viviez, quoi que vous fassiez, cet élément de souffrance ou d’insatisfaction apparaît tôt ou tard, notamment dans les relations.

 

Donc, le Bouddha enseigne que, où que vous alliez, vous trouverez dukkha et Thomas a Kempis dans la tradition chrétienne dit : où que vous alliez, vous trouverez la croix. Maintenant, parce que les gens n’ont pas vraiment compris les enseignements du Bouddha, en particulier les gens qui essaient de les analyser intellectuellement, ils disent du bouddhisme que c’est un enseignement négatif ou qui nie la vie. Et de nos jours, beaucoup de gens considéreront Thomas a Kempis de la tradition spirituelle médiévale comme négatif, mais le fait demeure : l’enseignement est absolument véritable en réalité. Tout le monde peut le vérifier dans sa propre vie.

 

Cependant, quelque chose d’important doit être ajouté à l’enseignement bouddhiste ou à l’enseignement chrétien de la croix. Cela n’est vrai que jusqu’à ce que vous réalisiez l’essence de vous-mêmes comme étant au-delà de la forme ou, selon le bouddhisme, vous réalisiez la vérité d’anatta, comme on le nomme en langue pali. Vous réalisez la vérité du « sans soi » ou « non-soi ». Vous ne souffrez que s’il y a recherche du soi dans le monde de la forme. Vous êtes alors identifiés avec le monde de la forme. Il y a alors dukkha.

 

Le Bouddha dit que tout est impermanent dans le monde de la forme : anitsha. Tout est dépourvu de soi : anatta. Et si vous cherchez votre soi dans ce qui est impermanent, c’est dukkha, la souffrance. Mais si vous ne cherchez pas votre soi dans ce qui est impermanent, parce que vous avez réalisé votre soi essentiel, ce que les bouddhistes appellent « non-soi », en tant que l’espace, appelé le vide par les bouddhistes, le Royaume des Cieux par Jésus, vous n’avez plus besoin du monde de la forme pour vous donner votre sentiment de soi.

 

Vous pouvez avoir une relation libre avec le monde de la forme, le permettre, jouer avec, lui donner ce qu’il mérite, ne pas en attendre plus que ce qu’il peut vous donner, ce qui n’est pas tant que ça. Vous n’avez pas d’attentes déraisonnables du monde de la forme, parce que si vous avez des attentes déraisonnables du monde de la forme, des biens, des autres humains également… « S’il te plaît, comble-moi ! » Non, personne ne le fera. Oh, ils peuvent essayer ! Vous pouvez avoir un contrat de mariage égoïque : « Je te comble et tu me combles ». Ça a l’air bien, mais essayez un temps et vous verrez que ça ne marche pas. Je suis sûr que beaucoup d’entre vous ont essayé.

 

Donc, la croix. Il y a un moyen d’utiliser la souffrance quand elle apparaît. Là, acceptez ce qui est au milieu de la souffrance et abandonnez la résistance. Et c’est soudainement une façon de trouver ce qui est au-delà de la forme. Vous souffrez, vous pouvez le mettre en pratique si vous avez une maladie ou quoi que ce soit, vous acceptez complètement ce qui est. N’acceptez pas l’idée de la maladie. J’ai déjà dit ça quelque part. Acceptez simplement quoi que vous ressentiez dans l’instant. Amenez-y l’acceptation. Quoi qu’il apparaisse dans l’instant, c’est comme c’est. Cela vous libère du monde de la forme. Si vous acceptez complètement la forme, elle vous libère de la forme. C’est le miracle.

 

Si vous n’acceptez pas la forme de l’instant, vous êtes piégés dans un mouvement réactionnel, ce qui veut dire que vous êtes encore plus piégés dans la forme. S’abandonner signifie accepter tout ce qui apparaît et c’est la croix. Et il dit ici que si vous l’acceptez, la croix vous porte. Vous ne la portez plus. N’est-ce pas étonnant ? La souffrance se renverse et devient soudainement une ouverture au royaume du transcendant, par l’abandon, et dans l’ancienne tradition chrétienne, c’est la leçon de l’humain sur la croix qui dit : « Que Ta volonté soit faite, et non la mienne ».

 

Nous voyons donc vraiment comme les traditions spirituelles apparemment différentes pointent toutes vers le même endroit, nous mènent au même endroit.

 

Si vous portez de bon coeur la Croix, elle-même vous portera et vous conduira au terme désiré », à savoir à cet endroit où il y aura la fin de la souffrance. « Mais cela ne sera pas en ce monde. « En ce monde » veut dire dans cette dimension où vous continuerez de vivre des défis. La différence, c’est qu’ils ne deviendront plus souffrance. Tant qu’il y a la souffrance, vous pouvez pratiquer l’abandon. Il érodera l’ego. Par l’acceptation totale, l’ego s’érode, parfois en une seule fois, parfois de façon progressive.

 

Voici maintenant l’expression la plus extrême de cet enseignement :

 

Lorsque vous en serez venu à trouver la souffrance douce et à l’aimer pour Jésus-Christ, alors estimez-vous heureux, parce que vous avez trouvé le paradis sur la terre. Mais, tandis que la souffrance vous sera amère et que vous la fuirez, vous vivrez dans le trouble, et la tribulation que vous fuirez vous suivra partout.

 

Donc, « Lorsque vous en serez venu à trouver la souffrance douce et à l’aimer, vous avez immédiatement trouvé le paradis sur terre ». Cela implique simplement un « oui » total pour ce qui est. Il le formule de façon drastique. Vous accueillez tout ce qui est. Mais fondamentalement, c’est à la base de tous les enseignements. Et immédiatement, une transformation se produit. Ensuite, l’ego est parti et il y a ici une belle parole de Thomas a Kempis. Je tiens à citer cette phrase :

 

Car Dieu répand sa bénédiction où il trouve des vases vides.

 

« Vide », est-ce que cela ne rappelle pas le bouddhisme ? Si vous êtes vides, vous êtes bénis. « Dieu répand sa bénédiction où il trouve des vases vides ». Le bouddhisme ne mentionne pas Dieu, mais c’est au fond la même chose, le vide. L’absence de l’ego est l’espace intérieur. Vous avez toujours été spacieux, mais vous ne le saviez pas. Maintenant, vous le savez et les bénédictions surviennent soudainement. La paix vient. La joie vient.

 

Voyons encore un chapitre, à nouveau très court, moins d’une page :
De l’inconstance du coeur, et que nous devons tout rapporter à Dieu comme à notre dernière fin

 

Ne vous reposez point sur ce que vous sentez en vous; maintenant vous êtes affecté d’une certaine manière, vous le serez d’une autre le moment d’après. Tant que vous vivrez, vous serez sujet au changement, même malgré vous; tour à tour triste et gai, tranquille et inquiet, fervent et tiède; tantôt actif, tantôt paresseux, tantôt grave, tantôt léger. Mais l’homme sage et instruit dans les voies spirituelles s’élève au-dessus de ces vicissitudes. Il ne considère point ce qu’il éprouve en soi, ni de quel côté l’incline le vent de l’inconstance; mais il arrête toute son attention sur la fin bienheureuse à laquelle il doit tendre. C’est ainsi qu’au milieu de tant de mouvements divers, fixant sur moi seul ses regards, il demeure inébranlable et toujours le même.

 

C’est Dieu qui parle ici.

 

Plus l’oeil de l’âme est pur et son intention droite, moins on est agité par les tempêtes.

 

C’est à nouveau un enseignement magnifique. Nous connaissons des états intérieurs fluctuants mentaux et émotionnels : « Tant que vous vivrez, vous serez sujet au changement, même malgré vous ». Parfois, vous êtes joyeux et d’autres fois tristes, un moment en paix et ensuite perturbés, un jour pieux et un autre impies, tantôt fervents tantôt paresseux, tantôt lourds tantôt remplis de joie.

 

Mais il pointe vers la possibilité de « ne point considérer ce qu’on éprouve en soi », tels sont ses mots, « « ne point considérer ce qu’on éprouve en soi, ni de quel côté nous incline le vent de l’inconstance ». Sans réagir à ce qui est. Des états intérieurs. En d’autres termes, devenir le témoin conscient de vos états intérieurs fluctuants. Vous pouvez alors leur permettre d’être. Ils apparaissent toujours, mais ils ne créent plus de souffrance. C’est seulement quand vous êtes totalement engagés dans les états intérieurs, identifiés aux états intérieurs qu’il y a souffrance.

 

Quand vous êtes la présence éveillée, vous permettez à ces sentiments d’être là, quels qu’ils soient. Un jour vous êtes paresseux un autre pleins de joie, un jour vous êtes ceci ou cela. Autrement dit, vous êtes enracinés dans l’espace, dans l’espace intérieur et vous permettez aux états d’aller et venir. Là encore, c’est au fond l’enseignement bouddhique. Ils se rencontrent. Vous voyez l’unité de cela. Tous les enseignements spirituels véritables.

 

Et dans cette dimension, vous n’êtes plus dépendants de ce qui arrive ou de ce qui n’arrive pas, que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur.

 

Quel bel enseignement ! Je pourrais vous lire plus de chapitres. J’ai presque envie d’en lire encore un ou deux.

 

Juste encore quelques lignes, Dieu lui-même, elle-même qui parle, ce qui est la conscience non conditionnée, l’intelligence universelle qui demeure à l’intérieur de toutes les formes de vie et qui est bien sûr au-delà de toutes les formes de vie.

 

Si vous vous recherchez en quelque chose, aussitôt vous tombez dans la langueur et la sécheresse. Rapportez donc principalement tout à moi, parce que c’est moi qui vous ai tout donné. Considérez chaque bien comme découlant du souverain bien, et songez que dès lors ils doivent tous remonter à moi comme à leur origine.

 

En moi comme dans une source intarissable, le petit et le grand, le pauvre et le riche puisent l’eau vive, et ceux qui me servent volontairement et de coeur recevront grâce sur grâce. Mais celui qui cherchera sa gloire hors de moi, ou sa jouissance dans un autre bien que moi, sa joie ne sera ni vraie ni solide, et son coeur, toujours à la gêne, toujours à l’étroit, ne trouvera que des angoisses. Ne vous attribuez donc aucun bien, et n’attribuez à nul homme sa vertu; mais rendez tout à Dieu, sans qui l’homme n’a rien.

 

À nouveau, vous attribuer quelque chose est une illusion, parce que l’énergie que vous avez, la vie que vous avez, la conscience que vous avez et tout ce qui provient comme créations de cette conscience que vous êtes, quelque chose que vous faites ou que vous atteignez, d’où est-ce que tout cela vient-il ? Tout provient de la source Une de toute vie. Ce n’est pas vôtre. Rien n’est à vous. Parce que dès lors que vous dites « c’est à moi », vous avez créé l’illusion de la séparation d’avec la source. Le flot de la source se restreint alors grandement. Dès lors que l’illusion de la séparation apparaît, le flot de la source de toute vie se restreint de plus en plus. Cela ne circule plus.

 

Jésus a bien sûr dit la même chose quand quelqu’un l’appela « homme bon » et Jésus de dire : « Ne me qualifie pas de bon. Seul Dieu est bon et nul autre ». Il était donc pleinement conscient de cela. Ne rien s’attribuer à soi-même. Le pouvoir peut alors circuler à travers vous beaucoup plus librement. Tout provient de la source Une. Sans l’ego… L’ego implique qu’il y a un soi. On s’attribue quelque chose à soi-même. C’est moi. Sans cela, vous pouvez être une pleine expression de l’intelligence universelle et sous quelque forme qu’elle veuille prendre.

 

Terminons en relisant ici ces quelques lignes :


En moi comme dans une source intarissable, le petit et le grand, le pauvre et le riche puisent l’eau vive, et ceux qui me servent volontairement et de coeur recevront grâce sur grâce.


Il n’y a que Dieu. C’est la vérité fondamentale. Il n’y a que l’Un… et vous êtes cela.

 

Merci !



05/06/2014
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