Révolution ou évolution

Alors que nous assistons à des révoltes armées dans le monde musulman, nous parlons de Révolution menant à renverser les dictatures pour les remplacer par un autre régime plus représentatif du peuple, d’une lutte d’ordre politique menée par une vague idéologique dont la finalité est de porter un changement brusque dans la structure politique d’un état. Pourtant, le terme Révolution provient étymologiquement du mot latin « revolvere », ce qui signifie « rouler en arrière ». Ce mouvement de recul est donc l’inverse du mouvement en avant que signifie le terme Evolution. Ce terme signifie aussi un procédé permettant d’atteindre ce renversement du pouvoir en passant par des actes de destruction. Or, le terme « destruction » est l’opposé du terme « création ».

Tandis que le processus de Révolution obéit au principe animal de la Loi du Plus Fort, celui d’Evolution est un processus indirect qui implique la notion de temps et qui permet au vivant de mieux s’adapter à son environnement et donc d’améliorer ses conditions de vie. La notion de Révolution implique celle du changement et le changement, ou l’impermanence, est celle fondamentale qui définit notre réalité, ce qui signifie qu’elle est inhérente au processus de la vie et qu’elle n’a donc pas besoin d’être imposée par des moyens impliquant la révolte et le sang versé. Car on ne peut résister au processus naturel du changement et l’évolution en marche est une révolution permanente mais paisible. A l’inverse, les Révolutions visent le remplacement d’un pouvoir suprême par un autre, ne faisant que renforcer le pouvoir de l’Etat au détriment de celui des individus. Ce processus ne fait donc que s’auto-renforcer et créer une tendance politique qui ne pourra être inversée que par l’introduction de nouveaux fondamentaux annulant la notion de gouvernement pyramidal par lequel la tête domine la masse. Par contre, la notion d’évolution est un processus individuel permanent qui ne passe pas par un changement du haut vers le bas, mais plutôt du bas vers le haut. Alors, le changement produit est tellement enchâssé dans les esprits et comportements des peuples qu’il n’est pas contestable par un mouvement de révolte.

Un mouvement idéologique sans chef, telle que celle propagée par des moyens de communication de masse comme l’internet, les livres, les films ou les chansons, mène vers des changements lorsque ces idées s’imbriquent dans l’inconscient individuel pour ensuite se diffuser dans l’inconscient collectif. Tandis que l’autoritarisme d’état s’arme de coercition et de répression, dont les moyens sont l’intransigeance, l’intolérance et la peur; les mouvements idéologiques ne sont pas contraignants et permettent le processus naturel d’évolution. Les mouvements idéologiques passent par la pensée qui permet le processus de création de la réalité telle qu’on la rêve, l’esprit humain permet alors le progrès par une analyse scientifique de la perception de l’homme en société. Cette intellectualisation est donc rationnelle, à l’inverse des émotions primitives menant à la Révolution sans prendre en considération les moyens. Selon la pensée animale, la fin justifie les moyens, mais l’évolution de la pensée démontre que les moyens sont des actes qui ont une conséquence proportionnelle sur l’auteur des actes. La Révolution est une fièvre collective, un comportement émotionnel qui s’éloigne de la raison et qui s’apparente au trouble psychologique bipolaire, ou l’individu adopte des comportements extrêmes entrecoupés de périodes de stabilité, cet état instable pouvant conduire à des troubles du jugement voire à des délires. Cette bipolarité est de nature cyclique, menant sur le plan collectif, à des révoltes d’ordre cyclique. Dans des cas extrêmes, elle est également associée à la notion de mort. Ici, nous avons les deux extrêmes psychologiquement irrationnels : le martyre qui s’autodétruit et le terroriste qui détruit les autres. Leurs conséquences sont des révoltes intérieures, lorsqu’on parle de renversement du pouvoir politique par le peuple, ou des guerres enclenchées par d’autres nations en réaction aux conflits armés. Les relations intérieures et extérieures sont alors basées sur la haine, la méfiance, le rejet de l’idéologie de l’individu ou du groupe au comportement irrationnel – ce qui est l’inverse du but recherché. Cette polarité d’idéologies se reflète sur le plan géopolitique, ce qui crée une ligne de démarcation entre est et ouest, entre pensée musulmane et chrétienne et donc entre le monde arabe et occidental. Ceci mène à la notion d’interventionnisme d’autres états, qui porte atteinte à la souveraineté d’état et qui semble justifier les embargos, les menaces de guerre, mais aussi le terrorisme diffus car les contre-pouvoirs d’hier sont au pouvoir de demain et la notion de personne morale amie ou ennemie change constamment et devient donc irrationnelle.

Ce modèle irrationnel, dont les effets ne répondent pas aux causes, devrait plutôt être remplacé par l’adoption du principe de la voie du milieu qui évite les extrêmes. Cette voie moyenne étant dictée par la raison, à l’inverse de celle dictée par les émotions, devient un critère de sagesse car les implications des actes sont examinées pour en déterminer le bien-fondé sur le plan humain. L’élimination des polarités ne porte pas atteinte à la liberté individuelle et mène alors à l’unité dans la diversité.

Le processus de mouvement idéologique débute sur le plan individuel pour se propager sur le plan collectif par des moyens de communication de masse lorsque ces idées transmises influencent celles des autres. La notion d’influence implique une force irrésistible, ou magnétique, qui produit des effets sur les opinions et comportements des autres, ayant alors un impact sur le destin collectif. C’est un pouvoir métaphysique, qui transforme de l’intérieur et qui produit des effets extérieurs. Cette influence est à l’inverse de celle produite par un système réglementaire qui s’exerce par la coercition et qui mène à des résultats extérieurs et donc superficiels. L’influence exercée par un mouvement idéologique est profonde car elle s’effectue par un processus d’identification, car le message transmis est aimé et respecté. Ce processus d’identification est alors suivi par le processus d’intériorisation, car le message transmis est accepté comme croyance qui se traduit en comportement qui devient la norme. L’influence est interprétée comme étant le reflet de soi, réel ou souhaité. Celle-ci signifie aussi qu’il y a une personne qui transmet ces idées qui sont intériorisées par la majorité et cette personne est souvient copiée par d’autres utilisant des idées et moyens similaires qui sont perçus comme étant beaux car reproduisant le même modèle. Ces personnes qui influencent deviennent des vedettes ou des gurus tels Deepak Chopra, Neale Donald Walsch, Paulo Coelho, ou encore John Lennon et Bob Dylan. Car nous sommes à l’ère de l’influence du citoyen lambda, ou grâce aux moyens de communication de masse, de parfaits inconnus peuvent faire entendre leur voix et être reconnus comme étant une autorité en matière d’influence.

L’avènement des réseaux sociaux permet l’usage du pouvoir des réseaux, car cette structure est composée de nœuds représentés par des individus ou des groupes qui sont connectés de façon interdépendante et dynamique. Ceci permet un processus d’évolution en marche de façon ordonnée, telle la spirale de l’argonaute qui s’agrandit tout en conservant sa forme. C’est le processus dynamique de similitude et de cohérence. C’est aussi une augmentation en puissance irrépressible, tel le flux continu de l’eau à travers un enchevêtrement de conduits interconnectés, permettant la transmission qui se propage aussi rapidement qu’un virus se propage par le biais de l’air qui est son élément. Le processus de communication par le biais de réseaux sociaux débute par un cycle d’adoption, suivi d’évolution suivant une courbe exponentielle, pour aboutir à l’influence de la majorité sous forme de pensée qui devient la norme. C’est le mouvement du flux de la matière idéologique qui crée notre réalité. Cette notion de flux de matière – y compris celle des rayons, du feu, de l’eau, des pensées, des mots et des sensations – dans l’harmonie du monde fut décrite dans une poétique métaphysique sublime par Al-Kindi dans De Radiis. Né en 801, il est l’auteur de 300 ouvrages monumentaux qui touchent à peu près à tous les domaines de la connaissance. Il explique les phénomènes matériels par un système de rayonnement émanant des objets et des personnes, car selon lui, les paroles sont en effet des formes aériennes et c’est pour cette raison qu’elles sont plus opérantes sur une matière aérienne que sur une autre. Comme l’esprit humain est de nature aérienne, les idées et les mots provoquent facilement un changement en lui. Cette pensée rejoint celle d’un autre grand philosophe musulman, l’émir Abd El-Kader dans son texte « Celui qui tira de l’arbre vert un feu ». Ce verset est destiné à nous faire faire une halte sur la perfection de la Puissance de Dieu et sur sa Sagesse admirable car Il fait surgir les choses de leurs contraires comme Il les dissimile dans leurs semblables. L’Islam spirituel s’exprime alors par le mouvement qui permet de comprendre le concept d’unité. Le chanteur et poète Abd ar-Rahman Chaghûri, 1912-2004, fut le maître d’une branche soufie en Syrie qui expliquait comment le soufisme était en conformité avec le Coran et la Sunna. Dans son poème « Les voiles de la séparation sont levés », il s’extasiait:

Les voiles de la séparation sont levés

Et la lumière du Regard a jailli

Depuis le Lieu au-delà de l’espace.

Ô soufis, soyez-en les témoins!

Je suis le miroir de mon Bien-aimé

Dans Son Amour, ô mon âme, tu peux te délecter.

Eteins-toi à tout autre que Lui

Et laisse donc ce qui cause ta souffrance!

Ô mon bonheur dans l’Union!

Ô ma résurrection après ma mort!

Ô clarté de mon ciel!

Ô ma vie éternelle!

Abandonne-toi à l’Amour

Et tes arguments fais-les taire!

Car l’Amour absolu

Ne les tolère guère.

Accroche-toi et chemine encore et encore,

Marche sur les pas de nos ancêtres,

N’écoute pas ceux qui critiquent!

Ecouter ceux-là est le pire des calvaires.

Celui que tu cherches est le Tout originel,

Celui qui ne tolère aucune censure.

Comprends donc que celui qui te blâme

N’est autre que l’envoyé du Seigneur qui t’aime!

Et fais un prière au Seigneur de la Majesté

Sur la Porte de l’Unité

Source: http://valeriecharoux.unblog.fr



08/11/2012
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