Grande perte et changement de conscience

Peut-être encore quelques questions. Il y a ici beaucoup de questions intéressantes et c’est au fond toujours la même réponse, des variantes ! OK, une question ici :

 

Il semble que la plupart des gens aient à endurer une grande perte pour passer par un changement de conscience et être présents. Cela implique qu’on ne peut pas devenir présent par l’effort, ni en lisant des livres, en participants à des séminaires ou à des cours en ligne. Et donc, en ce qui concerne les grandes pertes, si Humpty-Dumpty (personnage d’une comptine anglaise) tombe de son mur et brise 90 % de sa coquille égoïque, s’avérerait-il qu’il serait alors 90 % conscient ?

 

 

Non… Eh bien, peut-être ! Une grande perte n’implique pas nécessairement l’éveil, ni un changement de conscience. Il y a la possibilité d’une ouverture quand vous subissez une perte de toutes sortes. Et bien sûr, tôt ou tard, tout le monde connaît la perte. Il y a différentes sortes de pertes : la mort (un proche qui décède) ; vous perdez quelque chose. Cela peut commencer avec de petites choses, comme perdre votre voiture. Maintenant, il est peu probable que la perte de votre voiture vous libère de l’ego. Il est même plus probable que cela renforce l’ego. Vous souffrez.

 

Très souvent, la perte, la perte d’une possession, la perte d’une position, la perte de son travail, ce qui arrive de nos jours à beaucoup de gens, la perte de vos investissements avec M. Madoff, etc. M. Madoff a certainement permis à pas mal de gens de s’éveiller comme à d’autres de souffrir. Dans certains cas, il y a eu les deux : d’abord, vous souffrez et ensuite, vous vous éveillez. Le potentiel est là en cas de perte, parce que la perte implique une forme qui était importante pour vous, qu’il s’agisse de la forme d’une possession, d’une position, d’un être humain, d’une chose, et cette forme était importante pour vous, parce que d’une manière ou d’une autre, vous l’aviez intégré au sentiment de soi. Elle vous apportait une partie du sentiment de qui vous êtes.

 

À Los Angeles, beaucoup de gens entretiennent une relation très spéciale avec leur voiture, la voiture occupant beaucoup de place dans la vie ici. La seule perte de sa voiture peut aboutir à une souffrance intense, probablement insuffisante pour casser la coquille de l’ego, mais on ne sait jamais !

 

Il y a l’histoire d’un jeune homme – je ne sais pas si c’était un jeune homme – qui voyageait avec toutes ses affaires dans un sac à dos. Je crois qu’il était indien, je ne me rappelle pas les détails. Au Canada, il perdit toutes ses affaires dans ce sac qu’il avait laissé quelque part. Son passeport, son argent, tout était dans ce sac. Il était allé aux toilettes et quand il est revenu, le sac avait disparu. Or, il avait fallu qu’il soit vraiment prêt pour que cette seule perte de son passeport suffise. C’est contrariant, mais on peut y remédier. De l’argent, peut-être une carte de crédit, d’autres choses, tout avait disparu, et ce fut pour lui l’occasion d’un éveil. Il est devenu un enseignant spirituel.

 

Quand c’est une perte relativement mineure comme cette dernière qui produit un tel effet, cela veut dire que le degré de la disposition à s’éveiller est déjà très élevé. Et quand ce degré est élevé, une perte mineure peut être le dernier déclencheur. La perte est potentiellement une ouverture et un gros morceau de l’ego peut alors se détacher, ce qui est douloureux : il est arraché à la coquille égoïque ou l’ego se fissure et il y a l’ouverture.

 

Il y a le livre d’Elizabeth Lesser, intitulé « Broken Open », « Cassé, Ouvert ». Le livre mentionne le potentiel qui se trouve derrière ce qui semble négatif. Il y a bien sûr aussi un vers magnifique de Leonard Cohen, je crois : « Il y a une fissure en toute chose. C’est ainsi qu’entre la lumière. »

 

Tout se fissure. Toutes les coquilles égoïques finissent par se fissurer. Or, l’ego excelle aussi pour se mettre en mode automatique de réparation. Donc, quand l’ego est fissuré par une perte, il entre en réaction ; il mobilise toute son énergie pour réparer immédiatement la fissure. Une façon de faire est simplement la plainte, le fait de se poser en victime. De cette façon, vous soudez la fissure et vous avez créé une identité en tant que forme, plus forte encore que celle que vous avez perdue. Si une perte réactive votre ego jusqu’à vous poser en victime, vous sentant injustement traité, vous plaignant de ce que la vie, les gens vous ont fait, cette identité en tant que victime qui est là encore l’identification avec une forme-pensée peut être plus forte que la forme qui a été perdue.

 

Prenons un exemple simple : vous perdez votre travail. Une forte réaction négative de plainte est déclenchée en vous. Vous voici très amer à propos de la vie : « Ça n’aurait pas dû m’arriver. J’ai travaillé tant d’années. J’ai travaillé comme une bête. Je me suis éreinté pour tous ces gens et maintenant, tout ce qu’ils font, c’est me tourner le dos ». Vous pouvez voir l’ego puissant fabriqué de la sorte, une identité plaintive, dans la résistance, plus forte que l’identité associée au travail. Et c’est là qu’intervient ce que j’appelle le mécanisme inconscient de réparation de l’ego.

 

En écoutant les histoires des gens qui vous racontent les choses horribles qui leur sont arrivées, vous remarquez très souvent que l’ego est plus fort après la perte qu’il ne l’était avant. Il n’y a donc aucune garantie qu’une perte vous libère de l’ego. Le contraire peut être vrai, parce que le travail réparateur de l’ego peut produire plus de souffrance qu’il n’y en avait auparavant.

 

Nous avons tous rencontrés des gens qui sont en colère après la vie, plein d’amertume et de frustration. Tout le monde essuie certains revers, des échecs, etc., mais on accumule ces choses dans son mental en en faisant une identité et en accusant bien sûr les autres, l’univers ou Dieu. Si l’on croit en Dieu, on accuse Dieu et certains qui ne croient pas en Dieu l’accuse tout autant. Ils ont au moins quelqu’un à accuser. Peut-être Dieu n’a-t-il pas d’autre fonction que de représenter quelqu’un à accuser.

 

Certains diront encore : « Comment peut-il y avoir un Dieu ? C’est stupide ! Regarde ce qui m’est arrivé ! J’ai été à la messe tous les dimanches et regarde ce qui m’est arrivé, ce qu’il m’a fait. Dieu n’existe pas, ce sont des sottises ! ». Ici, vous êtes vraiment contre Dieu et cela renforce énormément l’ego.

 

Toutes sortes de pertes occasionneront au début de la douleur, mais ce qui se passe ensuite, soit l’ego intervient, résiste et répare, soit la douleur atteint un stade où la réparation n’est pas possible et l’on accède à un endroit d’acceptation. Et dès qu’on accède à un endroit d’acceptation du caractère inévitable de ce qui est, il y a une ouverture. Habituellement, une manière dont on peut évoquer cette chose, c’est de parler d’un approfondissement.

 

Il y a tout à coup un approfondissement chez quelqu’un qui est passé par la souffrance sans y résister. Il y a tout à coup une profondeur chez lui qui n’était pas là auparavant. Vous pouvez aussi sentir une certaine humilité. Il peut ne pas être libéré complètement de l’ego. Dans certains aspects de sa vie, il peut y avoir encore de l’ego. Or, il y a une certaine humilité qui survient, une plus grande capacité à avoir de l’empathie pour autrui quand vous avez souffert. L’humilité est bien sûr l’absence de l’ego.

 

Il reste simplement moins de l’entité qui joue un rôle. Beaucoup de gens ne font que jouer des rôles, ne sont que des rôles ambulants. À travers une perte, quelque chose de cela est érodé et quelque chose de plus pur et de plus vivant apparaît. En certaines occasion, l’entité qui joue un rôle peut revenir temporairement ou même revenir pour de bon, auquel cas une autre perte sera nécessaire. Le changement se trouve potentiellement dans la perte.

 

La personne questionne aussi sur le fait de lire des livres. Pour la plupart des gens, il y a l’association de l’expérience d’une perte dans leur vie à l’intérêt pour un enseignement spirituel. Et assez fréquemment, les gens endurent une perte et rencontrent en même temps un enseignement spirituel ou très peu après. J’en ai eu plusieurs exemples où le livre ou l’enseignement s’est présenté dans leur vie. J’ai aussi des récits où les gens m’expliquent : « Quelqu’un m’a donné un livre il y a six ans et je l’avais trouvé sans intérêt. Et il y a deux mois, alors que ceci ou cela m’est arrivé, je l’ai repris et je ne pouvais pas le croire : je comprenais tout d’un coup chaque mot. ».

 

Pourquoi pouvez-vous tout d’un coup comprendre chaque mot ? Quelque chose en vous s’ouvre qui n’est pas le mental conceptuel, qui n’est pas l’ego, mais qui est la conscience plus profonde. Et elle reconnaît la vérité. Les deux sont ensemble plus efficaces. Une fois qu’il y a la fissure, l’enseignement spirituel avec lequel vous êtes en contact peut vraiment être beaucoup plus efficace pour vous.

 

Il y a maintenant aussi des gens – j’en ai rencontré pas mal – des jeunes gens qui semblent ouverts sans avoir éprouvé de perte. Une nouvelle génération arrive peut-être maintenant dont certains n’ont peut-être pas besoin de traverser la souffrance que l’ancienne génération doit traverser comme moi-même. Il y en a qui sont dans la vingtaine qui peuvent voir la vérité et se mettre à la vivre. Je ne connaissais certainement pas la vérité à vingt ans et je crois que si j’avais lu « Le pouvoir du moment présent » à 20 ans, je l’aurais aussi trouvé insignifiant et même à 28 ans.

 

Et certaines personnes n’ont rien d’autre que la perte pour vivre un changement total de conscience, mais ou bien le degré de leur disposition est très élevé, ou bien la perte est terrible et accompagnée d’une souffrance intense, si intense qu’ils ne peuvent plus la supporter et à un certain niveau, ils abandonnent la résistance peut-être sans avoir eu besoin qu’on leur dise qu’il y avait la possibilité de faire cela. Simplement, la résistance est tombée et ils se sont retrouvés là : « Oh, qu’est-ce qui se passe ? J’ai tout perdu et je me sens profondément en paix. Je ne comprends pas » En lisant plus tard un livre spirituel, peut-être comprennent-ils pourquoi et comment.

 

Donc, quand une perte arrive, soyons reconnaissants et voyons si nous pouvons simplement accepter l’état d’être de ce qui est. C’est inévitable dans le monde de la forme. À un certain moment, vous rencontrerez une catastrophe, ne serait-ce que sous la forme de votre propre mort, tôt ou tard. Ce n’est pas une catastrophe, mais du point de vue de l’ego, c’est vécu ainsi : « Moi, mort ? Ce n’est pas possible ! Le monde ne peut pas exister sans moi ! »

 

Vous imaginer en train de mourir peut vous faire peur. Dans ce cas que certains d’entre vous connaissent peut-être, la pensée intense de la mort est venue à un jeune homme indien qui était allongé dans son lit. Il avait environ seize ans. Il s’est d’un coup imaginé qu’il mourait : « C’est comment, mourir ? ». L’expérience fut si intense qu’il a éprouvé la mort, simplement allongé sur son lit, après quoi il n’a jamais plus été le même. Il s’en alla de chez lui sans dire à personne où il allait.

 

C’est seulement des années plus tard que sa famille découvrit qu’on l’avait trouvé près d’un temple des kilomètres et des kilomètres plus loin et qu’il était devenu un saint homme. Plus tard, il est devenu un enseignant spirituel, Ramana Maharshi. Tout a commencé avec un adolescent de 16 ans allongé sur son lit, pensant à la mort et ressentant ce que peut être la mort. Il a bien entendu ressenti là l’intensité de la vie, mais il avait dû avoir un tel degré de disposition favorable que l’ego a disparu, simplement en traversant ce processus de la mort.

 

Cette expérience de la mort renvoie aussi à des anciens rites initiatiques. Il y a beaucoup de sagesse dans certaines cultures anciennes. Il y a par exemple des rites initiatiques où l’on est allongé dans un cercueil. Je crois que même les francs-maçons ont quelque chose comme ça bien que je ne sache pas si ça marche vraiment, ni comment ils le font. Je me souviens que nous avions loué une salle pour une conférence à la loge des francs-maçons de Vancouver il y a des années. Avant la conférence, je cherchais les toilettes et j’avais ouverts plusieurs portes. L’une des portes donnait accès à une pièce sombre. Dans l’obscurité, j’ai vu un cercueil et il y avait la silhouette d’un homme, une sorte de mannequin allongé dans ce cercueil. Je suppose qu’il est utilisé pour certains rites.

 

Je ne sais pas ce qu’ils en font, mais je sais en effet que le fait d’être allongé dans le sarcophage ou de passer du temps dans un cercueil pour simuler une expérience de la mort fait partie de nombreux rites initiatiques. Il y a de la sagesse là-dedans, parce qu’en vivant l’expérience, même si c’est une mort simulée, il y a une désidentification de la forme. Donc, même en traversant cette mort simulée, si ça marche pour vous, si ce n’est pas seulement un rituel – tout le monde sait bien que ce n’est pas réel… Si ce n’est qu’un rituel, ça ne peut rien apporter. Donc, même une mort simulée peut résulter en la désidentification de la forme. Donc, quelle que soit la perte, c’est toujours une bénédiction potentielle. Il en est ainsi quand on n’y résiste pas intérieurement.



20/11/2015
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