Eckhart Tolle « Sagesse Soufiste »

Bienvenue,

 

Cela devient une tradition ici où de temps en temps, je vous fais partager un livre qui est pour moi profondément significatif et dont je sens qu’il le sera également pour vous. Aujourd’hui, il sera davantage question d’un thème précis plutôt que d’un livre particulier. Je ferai simplement quelques citations de livres différents sur le même sujet. Maintenant, quand nous traitons de livres ou de sujets divers ici, il ne s’agit pas de discussions intellectuelles, ni finalement de quoi que ce soit d’extérieur à vous. C’est juste une manière de considérer la vérité essentielle qui est inséparable de qui vous êtes et cela s’applique à tout enseignement spirituel. Il serait vain de discuter un enseignement spirituel en tant que sujet extérieur à vous bien que cela soit fait beaucoup dans les universités.

 

De cette façon, vous pouvez accumuler des connaissances, mais ce que cela veut dire au fond, c’est que vous êtes alors un collectionneur de cartes et vous discutez les mérites des cartes, que vous les comparez, mais sans jamais aller là vers où pointe la carte. Vous n’allez jamais dans le territoire. Vous regardez simplement la carte du territoire et cela reviendrait à étudier ces choses comme sujet extérieur à vous comme cela est fait intellectuellement. Si vous aimez ça, c’est très bien. C’est juste une autre activité, un autre moyen d’accumuler des connaissances, mais ce n’est pas un moyen de savoir, d’arriver à cet endroit en vous où la connaissance conceptuelle est transcendée et où vous savez, à partir de la profondeur de votre être.

 

Et c’est bien sûr finalement ce que font tous les enseignements spirituels afin que vous trouviez cet endroit. Les enseignements spirituels ne sont pas ici pour vous donner de l’information, mais pour vous aider à découvrir ce qui est déjà une réalité en vous. Dans ce sens, rien ne doit vous être ajouté et tandis que nous sommes ici maintenant, passant du temps ensemble, je n’ajoute rien à vos connaissances, mais ce que nous tentons de faire, c’est utiliser, ici aujourd’hui, un enseignement spirituel qui est très ancien, mais toujours vivant, l’utiliser comme moyen d’accès à la dimension plus profonde en vous.

 

Donc, cela devrait être très agréable. Si ce n’est pas agréable, si ça ne marche pas, on peut se détendre. Il n’y a nulle part où aller sur le plan horizontal de la vie, mais allons seulement plus profondément dans la verticalité. Donc, nulle part où aller en termes d’espace et de temps.

 

Il y a de nombreuses années (je ne me rappelle plus exactement), mon frère, mon demi-frère est venu me voir. Il a vingt ans de moins que moi. Il avait 17 ans à l’époque. Il est venu me voir et m’a dit : « Je viens de voir un film. C’est un film d’Indiana Jones », je pense que c’était ça, « Et tu devrais le regarder, parce qu’il y a un personnage qui te ressemble ». Je me suis dit : « Oh, c’est étrange, qu’est-ce que je fabrique dans un film d’Indiana Jones ? ». Et il ajouta : « En fait, il ne te ressemble pas du tout, mais il est comme toi. Je ne peux pas l’expliquer, il faut que tu le regardes ».

 

Cela piqua ma curiosité. La semaine suivante, je suis allé voir le film et je fus agréablement surpris. Il se trouve que ce personnage était un maître soufi, un homme plutôt jeune. Le titre du film était « Le Diamant du Nil ». Ce n’est pas un film particulièrement profond, mais il est divertissant, avec beaucoup d’action et il y a ce personnage de maître soufi.

 

Le côté exceptionnel du film que mon frère a dû percevoir intuitivement, c’est que ce personnage, le maître soufi, fonctionne dans le film pratiquement sans ego. Le scénariste ou le réalisateur a fait cela consciemment ou il a été guidé et les choses se sont simplement présentées ainsi de façon inconsciente. Je ne sais pas, mais c’est un enseignement magnifique que de juste regarder ce personnage évoluer et parler d’un endroit sans ego.

 

Donc, si jamais vous vouliez le voir, c’est « Le Diamant du Nil », probablement toujours disponible en DVD. Il mérite d’être vu rien que pour ce personnage. C’est un soufi. Je me suis alors intéressé davantage aux soufis. J’avais entendu parler des soufis comme presque tout le monde. Le soufisme remonte à des milliers d’années et il est généralement présenté comme la branche mystique de l’islam. Quand on parle de soufis, ce qui vient à l’esprit de la plupart des gens, sauf s’ils n’en ont jamais entendu parler, ce sont les derviches tourneurs.

 

Les derviches sont les soufis qui ont fait voeu de pauvreté et ils accomplissent des danses extatiques. Ils tournent en cercles continuellement. Ils sont donc appelés les derviches tourneurs. Il y a même des derviches hurleurs et des derviches chanteurs. Ils ont donc des pratiques qui sont plutôt énergiques et qui aboutissent indubitablement à l’arrêt du mental, parce que l’on ne peut pas tourner longtemps de la sorte et continuer de penser.

 

Donc, d’une certaine manière, je me suis intéressé un peu plus aux soufis et j’ai parcouru quelques livres. J’ai vu que tous les maîtres soufis pointent vers cet endroit le plus essentiel en soi. Et bien qu’il provienne de l’islam, leur enseignement transcende, comme le fait tout enseignement spirituel profond véritable, transcende la forme dont il émane. De la même façon, par exemple, le zen qui émane du bouddhisme transcende le bouddhisme, les grands mystiques chrétiens du moyen-âge transcendent la forme étroite du christianisme. Évidemment, ces derniers ont très souvent été persécutés pour cela par des chrétiens orthodoxes, de la même façon que certains soufis ont été persécutés et tués par des musulmans orthodoxes et le sont toujours.

 

De nos jours particulièrement, quand on parle de l’islam, beaucoup de gens le voient comme une religion intolérante, mais n’importe quelle religion peut le devenir. Si vous considérez le Moyen-Âge, vous voyez qu’à l’époque, l’islam était bien plus tolérant que le christianisme et qu’il avait une civilisation bien plus hautement développée que la civilisation chrétienne en Europe, dans le centre de l’Europe. Il y avait l’islam aussi dans le sud de l’Europe.

 

Aujourd’hui, j’aimerais donc aller avec vous aussi profondément que possible au coeur des enseignements soufis ou utiliser les enseignements soufis comme moyen d’accéder à cet endroit en vous-mêmes. Une précision avant de poursuivre, j’ai été heureux il y a quelques mois de lire un article dans le New York Times où la nature très pacifique du soufisme était reconnue et où on rapportait que même de nos jours, le soufisme est considéré par les fanatiques orthodoxes comme un ennemi de l’islam. Avant de commencer, je vais vous lire un petit extrait du New York Times, écrit il y a quelques mois sur le soufisme de nos jours :

 

« Dans la partie la plus radicale du monde musulman, les leaders soufis risquent leur vie pour leurs croyances empruntes de tolérance, tout aussi bravement que les troupes américaines sur le terrain à Baghdâd et à Kaboul. Le soufisme est l’incarnation la plus pluraliste de l’islam – accessible aux érudits et aux ignorants, aux croyants et aux non-croyants – et représente ainsi un pont particulièrement précieux entre l’Orient et l’Occident. Les grands saints soufi, comme le poète persan Rumi du XIIIe siècle, considéraient que toute existence et toutes les religions ne faisaient qu’une, qu’elles étaient toutes des manifestations de la même réalité divine. Ce qui était important n’était pas les rituels vides de la mosquée, de l’église, de la synagogue ou du temple, mais les efforts pour comprendre cette divinité qui peut le mieux être atteinte par la porte du coeur humain : nous pouvons tous trouver le paradis en nous si nous savons où regarder. D’une certaine façon, le soufisme, en mettant l’accent sur l’amour plutôt que sur le jugement, représente le Nouveau-Testament de l’islam. Pendant que l’Occident reste aveugle aux désaccords et différences dans l’islam, le problème posé par la vision soufi de la foi n’impressionne pas les extrémistes. Cela a été démontré de façon très violente le 2 juillet (l’année dernière), quand les taliban pakistanais ont organisé un double attentat-suicide au Data Darbar, le plus grand lieu saint soufi à Lahore, la deuxième plus grande ville du Pakistan. L’attaque a eu lieu un jeudi soir, là où le lieu saint est le plus fréquenté. Il y eut 42 personnes tuées et 175 blessées. Ce ne fut que la dernière agression d’une longue série perpétrée contre les soufis pakistanais ».

 

Et l’article se poursuit en relatant d’autres agressions contre les soufis. Eh bien, cela se passe toujours de cette façon pour ceux dont la religion est seulement une idéologie. Ils considéreront comme un ennemi toute personne qui vit véritablement l’essence de cette religion. Cela s’est produit beaucoup dans le christianisme autrefois. Cela peut arriver dans n’importe quelle religion. Donc, venons-en maintenant plus profondément à l’essence du soufisme.

 

Je vais faire pour vous des citations de quelques livres et ce seront principalement des histoires très courtes, extraites des enseignements de maîtres soufis. Je lirai de petits extraits et je les commenterai ensuite. Plus tard, on lira quelques poèmes du grand maître et poète soufi, Hafez et peut-être quelques-uns de Rumi.

 

Il y a beaucoup de livres sur le soufisme que vous pouvez acheter. Le choix n’est pas vraiment important. Bien sûr, nous avons aujourd’hui ici le livre « The Gift » (le cadeau), un recueil de poème de Hafez et je citerai juste une ou deux petites choses de « La voie Soufie ». Je pense que c’est toujours en librairie : Idries Shah. C’est un livre que quelqu’un m’a donné, qui contient des écrits sacrés des religions du monde, un livre magnifique qui pourrait être une bible pour notre époque, la sagesse du monde qui transcende les limites étroites des religions.

 

Voici l’un des plus courts de tous les poèmes du maître soufi, Firdausi, qui a vécu vers l’an 1500 :

 

« Qu’il soit sur terre un paradis de félicité, c’est ceci, c’est ceci, c’est ceci ».

 

La félicité, la joie, la vie est cachée dans ce moment. Vous devez donc accéder à la profondeur de ce moment pour trouver le paradis de la félicité que la plupart des gens recherchent comme si c’était un objet qui peut être trouvé dans le futur. Il y a bien sûr aussi le célèbre dicton qui vient du zen : « C’est cela ». La libération se trouve alors dans l’accès au pouvoir qui est dissimulé dans ce moment. Dirigez votre attention profondément en ce moment-ci où la vieille structure de la réalité conceptuelle n’agit plus.

 

« Qu’il soit sur terre un paradis de félicité, c’est ceci, c’est ceci, c’estceci ».

 

Vous ne pouvez pas le comprendre avec des concepts ou des explications. Cette compréhension doit être directe. Dès que vous demandez « Oui, mais qu’en est-il de… ? », cela ne vous y mènera pas.

 

Rumi, le grand poète soufi persan, l’un des plus grands poètes qui ait jamais vécu, dit :

 

« Il y a une force à l’intérieur qui vous donne la vie, recherchez cela.

 

Dans votre corps se trouve un joyau sans prix, recherchez cela.

 

O, soufi errant, si tu es à la recherche du plus grand trésor, ne regarde pas dehors ; regarde à l’intérieur et recherche cela ».

 

Dirigez votre attention à l’intérieur. « Il y a une force à l’intérieur qui vous donne la vie, recherchez cela ». Ces seules lignes, utilisez-les comme un doigt pointé. Cela peut être très puissant. « Il y a une force à l’intérieur qui vous donne la vie, recherchez cela ». En d’autres termes, devenir conscient de la vie que vous êtes, directement. Devenir conscient de cette « présence animante ». Je ne dirais même pas cette présence animante en vous. Le langage dénature les choses, mais devenir conscient de la présence animante que vous êtes. Ce n’est pas que la présence animante est en vous. La présence animante est qui vous êtes et ce que vous êtes. Dès qu’on utilise le langage, on crée la dualité.

 

Donc, à cet instant, pouvez-vous être conscients de la vie en vous ? Elle est tellement omniprésente et tellement manifeste que vous ne la voyez pas, de la même façon qu’un poisson n’est probablement pas conscient de l’eau. Pouvez-vous sentir votre propre présence, indépendamment du penser ? Sans la présence, il ne pourrait pas y avoir de penser. La présence précède le penser, tout de suite. Elle n’a rien à voir avec votre histoire. Là, vous touchez l’essence, la dimension transcendante en vous.

 

Qu’est-ce qui est transcendé ? Tout ce qui est forme, en vous : le penser, les émotions, les perceptions sensorielles. Comment cela se fait que vous puissiez être conscients de ces choses ? Comment cela se fait qu’il puisse y avoir des pensées ? Comment cela se fait qu’il puisse y avoir des perceptions sensorielles ? Comment cela se fait qu’il puisse y avoir des émotions et des sentiments ? À cause de la présence sous-jacente, la vie, le sans-forme, la vie ou la conscience.

 

Maintenant, si vous pouviez être conscients de cela tout le temps, dans votre vie quotidienne, vous seriez libérés de l’attachement aux choses et libérés de l’attachement à l’image mentale de qui vous êtes, laquelle est l’ego.

 

Le petit extrait suivant que je vais lire traite de cela : « Souvenir de Dieu » qui est de – excusez mon arabe – Abu Said Ab’il Khair qui a vécu de 967 à 1049 :

 

« Le véritable homme de Dieu – homme ou femme – est assis au milieu de ses semblables, et se lève, et mange, et dort, et se marie, et achète, et vend, et donne, et prend dans les bazars, et passe sa journée avec d’autres gens, et cependant n’oublie jamais Dieu, ni même un seul instant ».

 

Dans un instant, je vais le relire. « N’oublie jamais Dieu, ni même un seul instant ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut-il dire que, quoi que la personne fasse, elle se dit constamment : « Je dois penser à Dieu » ? Quand vous achetez quelque chose : « Dieu, Dieu, Dieu ». Ce n’est évidemment pas ça. Cela serait comme de la folie. Il y a une chose similaire que Jésus disait : « Prie sans discontinuer ». Je ne crois pas qu’il veuille dire que vous alliez votre chemin en répétant constamment « O Père dans les cieux » tandis que vous achetez des choses ou parlez à quelqu’un. C’est simplement impossible. Il ne s’agit donc pas de cela. Donc, quand il dit « N’oublie jamais Dieu, ni même un seul instant », il ne dit pas : « Pense toujours à Dieu à chaque instant ». Vous ne pouvez pas le faire. Cela serait de la folie.

 

Ainsi, Dieu n’est pas un objet mental. Pour beaucoup de gens, Dieu a été réduit à une idée dans la tête à laquelle ils croient et il y en a bien sûr d’autres qui ont également l’idée de Dieu et qui la nient. Une personne dira : « Je crois en cette idée de Dieu, au concept de Dieu ». Le concept devient Dieu. C’est donc une sorte d’idole mentale que vous pouvez accepter ou rejeter, mais même si vous l’acceptez, ce n’est pas la réalité. C’est juste une pensée et vous ne pouvez pas maintenir cette pensée continuellement.

 

Il parle donc, non pas d’une pensée, mais d’une connaissance qui n’est pas conceptuelle à l’arrière-plan de votre mental, à l’arrière-plan de vous-mêmes et qui est relié à ce que nous disions pour l’extrait précédent, ce que nous avons lu : « Il y a une force en vous ». Qu’est-ce que c’était ? « Il y a une force à l’intérieur qui vous donne la vie, recherchez cela ». C’est la présence. Cette présence consciente est ce qui rend tout possible. C’est la lumière en laquelle toute chose apparaît. Parfois, je nomme cela le silence, la lumière, l’espace, l’espace intérieur en vous, un espace silencieux extrêmement conscient, vivant, une connaissance.

 

L’art de vivre alors consiste à avoir cela à l’arrière-plan tout en fonctionnant dans la vie au premier plan. C’est le grand art. Il vous faut le pratiquer. Une fois que vous l’avez maîtrisé, vous avez accompli votre but ici. Je le relis maintenant :

 

« Le véritable homme de Dieu – homme ou femme – est assis au milieu de ses semblables, et se lève, et mange, et dort, et se marie, et achète, et vend, et donne, et prend dans les bazars, et passe sa journée avec d’autres gens, et cependant n’oublie jamais Dieu, ni même un seul instant ».

 

En d’autres termes, cette personne qui n’oublie jamais Dieu, ni même un seul instant, n’est pas seulement consciente de toutes les choses qui constituent l’existence perçue par les sens, incluant les pensées, mais elle est également consciente de l’espace dans lequel toutes ces choses apparaissent. Donc, vous êtes l’espace pour cela. Autrement dit, vous emportez un silence à l’arrière de vous-mêmes, un espace, un silence, même pendant que vous vendez et achetez dans les bazars. De nos jours, ce sont les centres commerciaux.

 

Tout en étant au centre commercial et en trouvant quelque chose à acheter, vous n’êtes pas totalement perdus dans les objets de votre vie, qu’il s’agisse d’objets extérieurs ou des objets intérieurs qui se présentent, parce que cela veut dire alors que vous oubliez Dieu. Qu’est-ce qui est Dieu ? La vie Une non manifestée, la vie Une non manifestée éternelle intemporelle. Autrement, vous vous perdez dans les choses et les choses vous affectent. Vous pensez que votre bonheur et votre paix dépendent des choses.

 

Bien sûr, les choses incluent également les objets mentaux, non pas seulement les objets physiques. Les objets mentaux sont aussi des choses. Les gens dépendent donc de leur idéologie, pour leur sentiment de soi par exemple. Ils sont totalement perdus dans les choses également, de la même façon que la personne qui dépend des possessions matérielles, totalement perdue dans les choses. Vous renoncez à votre vie pour les choses, soit des choses extérieures, soit des idées fixes, des idées répétitives dans la tête. Vous vous y perdez complètement.

 

Il est donc possible de connaître Dieu de façon continue, même en vivant sa vie quotidienne. Et c’est l’enseignement des soufis et de tous les autres enseignements spirituels. Bien sûr, être identifié avec les choses signifie être pratiquement endormi. Là encore, les soufis parlent donc aussi de l’éveil, tout comme le font d’autres traditions spirituelles, de l’importance à demeurer éveillé, comme Jésus l’a dit, de l’importance à être celui qui est éveillé, le Bouddha. C’est ce qu’il veut dire. Et Rumi dit :

 

« Si tu aspires à une grande richesse et à ce qui dure à jamais, réveille-toi !

 

Si tu veux briller de l’amour du bien-aimé », en langage souffi, le bien-aimé est Dieu, « Si tu veux briller de l’amour du bien-aimé, réveille-toi !

 

Tu as dormi cent nuits, et qu’est-ce que cela t’a apporté ?

 

Pour toi-même, pour ton Dieu, réveille-toi ! Réveille-toi ! Ne t’endors plus ».

 

Et dans ce petit poème ici que je vais lire maintenant, Rumi parle de l’évolution sur cette planète, de la façon dont la conscience évolue progressivement en devenant différentes formes de vie. Et cette conscience qui se manifeste sous différentes formes de vie est bien entendu la conscience Une, le Dieu Un. Et c’est pourquoi Rumi parle un peu en tant que « Je ».

 

« J’ai péri en tant que minéral et je suis devenu une plante.

 

J’ai péri en tant que plante et je suis ressuscité comme animal.

 

J’ai péri en tant qu’animal et j’ai été homme.

 

Pourquoi devrais-je avoir peur ? Quand ai-je été moins en périssant ?

 

Cependant, une fois encore, je périrai en tant qu’homme pour m’envoler heureux avec les anges.

 

Mais encore de la nature angélique, je dois périr.

 

Tout, sauf Dieu, périt effectivement.

 

Quand j’aurai sacrifié mon âme d’ange, je deviendrai ce qu’aucun esprit jamais n’a conçu.

 

O, laisse-moi ne pas exister car la non-existence proclame au son des orgues : « À lui, nous retournerons ». »

 

En un seul petit poème et en peu de mots, il décrit toute l’évolution de la conscience sur la planète et la destinée de l’homme. Et le vers le plus beau est peut-être : « Quand ai-je été moins en périssant ? » La mort n’est qu’une métamorphose de la forme. Et la mort n’est pas seulement celle du corps physique. La mort se produit au quotidien. Les choses ont une fin, les formes dans votre vie se dissolvent. S’attendre à autre chose serait souffrant et c’est pourtant ce que font les gens quand ils s’angoissent alors que les choses commencent à changer et disparaître, les quittent. Les soufis, je les appelle parfois « les amoureux du départ ». Ils n’ont pas peur de la transformation.

 

Encore un poème de Rumi, je crois. Les soufis sont très chaleureux, joyeux. Sans la joie, ce n’est pas l’enseignement véritable. Donc, Rumi déclare… C’est une causerie. À l’origine, ces poèmes étaient récités, comme ils sont censés l’être.

 

« Viens, viens, qui que tu sois. Vagabond, fidèle, amoureux du départ, qu’importe !

 

Notre caravane en est une de joie illimitée.

 

Même si tu as rompu tes serments cent fois, Viens, viens, une fois de plus viens ! »

 

Il y a une exubérance de vie chez les enseignants soufis.

 

Maintenant, les anciennes traditions reconnues reconnaissent que l’obstacle principal à la réalisation est ce qui est appelé dans le bouddhisme le soi ou ce que nous pourrions appeler l’ego, en d’autres termes un faux sentiment d’identité qui crée un sentiment de soi illusoire, un monde illusoire que vous vivez, rempli de drames et de souffrances inutiles.

 

Une grande partie de l’enseignement soufi est très pratique. Traditionnellement, les gens restaient auprès d’un maître pendant de nombreuses années et le maître leur disait parfois quoi faire. Et ces enseignements sont destinés à vous libérer progressivement du faux sentiment de soi qui est l’ego. Nous avons ici une belle histoire qui explique cela :

 

- « « On a posé une question à un maître soufi qui s’appelait Shibli :- « Qui t’a guidé sur ton chemin ? » Et il répondit :

- « Un chien ».

- « Un chien ? »

 

- « Oui. Un jour, je l’ai vu presque mort de soif, debout au bord de l’eau. À chaque fois qu’il regardait son reflet dans l’eau, il était effrayé et il reculait, parce qu’il pensait que c’était un autre chien. Finalement, sa soif fut telle qu’il dépassa sa peur et sauta dans l’eau où l’autre chien disparut. Le chien remarqua que l’obstacle, lequel était en lui, la barrière entre lui et ce qu’il avait pensé, avait disparu. De la même façon, mon propre obstacle a disparu », dit le maître, « Quand j’ai su qu’il était « je », quand j’ai su que c’était ce que j’avais pris comme étant moi-même ».

 

C’était donc l’obstacle. Ce qu’il avait pris comme étant lui-même avait été l’obstacle.

 

- « Et mon chemin m’a été au départ montré par le comportement d’un chien ».

 

La barrière devant ce que le chien recherchait, la barrière qui l’empêchait d’obtenir ce qu’il recherchait avait été l’image illusoire de lui-même, l’illusion qu’il y avait cet autre soi, le soi.

 

Donc, cet enseignant avait déjà dû être allé très loin sur le chemin de la réalisation de soi et, parfois, il suffit d’une toute petite chose pour y voir soudainement la vérité. Donc, quand il vit le chien sauter dans l’eau, il reconnut tout à coup son propre obstacle. Il y avait encore un reste d’un sentiment de soi fabriqué par le mental et cela s’est alors dissout. L’ego s’est dissout.

 

Il y a une histoire magnifique ici qui se rapporte à cela. Ici, comme je le vois, une personne qui devait plus tard devenir un grand maître soufi s’est imposée une pratique spirituelle dans le but d’éroder son faux sentiment de soi, plutôt drastique comme vous pourrez le voir à la lecture que je vais en faire maintenant. J’ai déjà cité cela une ou deux fois dans des causeries. C’est une histoire tellement belle !

 

« Errant dans un vêtement en patchwork », tel que les derviches, les soufis errants vêtus de vieux vêtements en laine, « Errant dans un vêtement en patchwork, le visage noirci par le soleil, un certain derviche arriva à Koufa où il fut aperçu par un commerçant. Le commerçant parla au derviche et conclut qu’il devait être un esclave perdu et le commerçant dit : « Vu tes bonnes manières, je vais t’appeler Khair (ce qui veut dire « bon »). N’es-tu pas un esclave ? ». « C’est ce que je suis », répondit Khair ». Le commerçant dit : « Je vais t’emmener chez moi et tupourras travailler pour mon compte jusqu’à ce que je trouve ton maître ». « J’aimerais beaucoup », dit Khair, « car je suis à la recherche de mon maître depuis si longtemps ».

 

Il travailla de nombreuses années pour cet homme qui lui apprit le métier de tisserand, d’où son second nom, Nassaj, tisserand. Après de longs services et se sentant coupable de l’avoir exploité, le commerçant lui dit : « Je ne sais pas qui tu es, mais tu es désormais libre de partir ».

 

Khair Nassaj, le grand maître du chemin poursuivit son voyage jusqu’à la Mecque sans regrets car il avait découvert comment continuer son évolution malgré qu’il ne portât pas de nom et qu’il fût traité comme un esclave. Il a été l’enseignant de Shibli, Ibrahim Khawwas et de beaucoup de grands enseignants des soufis. Il est mort il y a plus de mille ans, à l’âge de 120 ans ».

 

La façon dont je vois cela, c’est que… Non seulement comme le narrateur de cette histoire le dit ici : « Il poursuivit son voyage jusqu’à la Mecque sans regrets car il avait découvert comment continuer son évolution malgré qu’il ne portât pas de nom et qu’il fût traité comme un esclave ». Oui, on pourrait dire ça, mais il serait même plus vrai de dire que c’est, non pas malgré, mais précisément parce qu’il ne portât pas de nom et qu’il fût traité comme un esclave qu’il fut capable d’aller si profondément au-delà de la forme et de l’identification à la forme.

 

Ce fut donc une tentative consciente, comme je le vois, de la part de qui devait devenir un grand maître. C’était une tentative consciente de sa part pour abandonner son ego, pour éroder son ego, et il accepta quand l’homme lui dit « Tu seras mon esclave ». Il répondit : « Oui, très bien ! » Et pendant des années, il ne fut pratiquement personne.

 

Maintenant, il y a certains dangers associés au fait de créer consciemment des situations destinées à éroder son ego. Très souvent, d’une façon très subtile, le fait que vous créiez consciemment une situation pour vous-mêmes en vue d’éroder votre ego peut amener un ego plus subbtil à l’arrière-plan mental qui s’attribue le mérite d’avoir créé et obtenu cela, parce que vous y êtes arrivés. Vous avez atteint l’état sans ego ! « Je l’ai fait ! » Et vous auriez alors un autre ego plus subtil venant là sans même le savoir.

 

C’est le danger quand vous fabriquez consciemment des situations pour défaire l’ego, non pas que beaucoup de gens fassent vraiment cela, surtout de nos jours. Qui provoquerait consciemment des situations pour éroder l’ego ? En fait, la plupart des gens s’engagent dans la direction opposée. Ils créent consciemment des situations pour renforcer leur ego. Parfois, cela semble marcher historiquement. Avec cette personne, cela a marché. Bien qu’il l’ait fait consciemment, selon ce que je vois, il n’y a pas eu d’ego subtil secondaire qui s’est développé à l’arrière-plan et qui a remplacé l’ego plus apparent. Dans son cas, cela a marché. Cela peut marcher.

 

La même chose sous-tend l’ancienne tradition qui est toujours en vigueur en Inde dans une certaine mesure et qui consiste à abandonner sa famille, sa position sociale, ses possessions pour s’en aller alors et devenir un mendiant. Quelques personnes le font encore en Inde quand ils atteignent un certain âge, mais la tradition remonte à des milliers d’années. C’est une belle tradition. Et certaines personnes le font à un jeune âge. Elles essaient de tout abandonner. Là encore, c’est une tentative de n’être personne.

 

C’est seulement si vous réalisez en essence que vous n’êtes personne en tant que forme que vous pouvez réaliser en essence que vous êtes intemporels et sacrés en tant que non-forme. Et cela marche parfois et d’autres fois non. Quand cela ne marche pas, c’est parce qu’il y a là quelqu’un qui s’attribue des mérites. Un ego subtil se faufile. Je ne recommanderais à personne de rechercher des situations qui érodent votre ego, à moins que vous ne vous sentiez attirés par cela.

 

Permettez à la vie de le faire. Abandonnez-vous au moment présent. Soyez conscients des schémas de résistance en vous et des nombreuses formes que l’ego peut prendre et acceptez ce que la vie vous donne. Acceptez les situations et les défis que la vie vous donne. Elle vous donnera toujours ce dont vous avez besoin. Au lieu de vous plaindre concernant des situations que la vie vous donne, accueillez-les et si vous accueillez les situations que la vie vous donne, vous érodez votre ego ou, pour mieux dire, l’ego s’érode. Vous ne pouvez pas activement éroder l’ego ; vous pouvez seulement permettre à l’ego de se dissoudre. Si vous voulez éroder votre ego activement, vous le renforcez finalement.

 

Et ici, nous avons une situation similaire dans la prochaine petite histoire où un enseignant donne à un étudiant, à un disciple certaines choses à faire, également destinées à éroder l’ego de la personne. Shibli qui est devenu plus tard un grand enseignant – à l’époque, il était un disciple, un aristocrate très riche et influant, mais il était attiré par l’enseignant soufi appelé Junayd et il recherchait la connaissance réelle. Il dit à l’enseignant :

 

- « J’ai entendu dire que tu avais la connaissance divine. Donne-la-moi ou vends-la-moi ! » et l’enseignant répondit :

 

- « Je ne peux pas te la vendre, parce que tu n’en as pas les moyens. Je ne peux pas te la donner, parce qu’ainsi, tu l’aurais trop bon marché. Tu dois t’immerger dans l’eau comme je l’ai fait pour obtenir la perle ».

 

Autrement dit, vous devez passer par la transformation pour l’obtenir. Vous ne pouvez pas l’avoir comme vous êtes maintenant. L’ego ne le peut pas. C’est l’ego qui la veut.

 

- – « Que puis-je faire ? » demande Shibli, le disciple. Et le maître dit :

 

- « Pars et deviens vendeur de soufre ». Un an après, Junayd, l’enseignant lui dit :

 

- « Tu prospères comme commerçant, deviens maintenant un derviche et ne fais rien d’autre que mendier ». Shibli passa un an à mendier dans les rues de Baghdâd sans le moindre succès. » Je ne sais pas ce que le narrateur entend par « sans le moindre succès », il veut probablement dire que son ego était toujours aussi gros.

 

« Il retourna auprès de Junayd. Le maître lui dit : « Pour l’humanité, tu es maintenant personne. Laisse les autres n’être personne pour toi ». Il y a toujours une différence. « Pour l’humanité, tu es maintenant personne, laisse maintenant les autres n’être personne pour toi. Dans le passé, tu étais gouverneur. Retourne maintenant dans cette province et va voir chaque personne que tu as opprimée. Demande à chacune de te pardonner ». Il y alla, les trouva toutes, sauf une, et reçut leur pardon. À son retour, Junayd lui dit qu’il se sentait toujours suffisant d’une certaine manière ». Donc, le disciple avait assez de connaissance de soi, il avait assez de conscience pour détecter en lui-même un sentiment de suffisance, l’ego.

 

« Il dut donc passer un an de plus à mendier. L’argent qu’il gagnait de cette manière était apporté chaque soir au maître qui le donnait aux pauvres. Shibli lui-même ne recevait pas de nourriture avant le lendemain matin. Il était accepté comme disciple. Après un an passé à servir les autres étudiants, il se sentit comme le plus humble de la création. Ce fut à la fin de son apprentissage et où il devint lui-même un enseignant. Donc, cette véritable humilité qu’il connut fut la fin de l’ego. Du point de vue égoïque, c’est bien sûr un état de faiblesse, mais la réalité est évidemment qu’il accéda au point en lui-même au véritable pouvoir. Il devint donc enseignant.

 

C’est magnifique. Vous pouvez voir comme ces enseignements sont universels. C’est toujours la même vérité, le même obstacle, la même vérité.

 

Maintenant, pour la dernière partie de notre séance, j’ai quelques magnifiques poèmes de l’enseignant et poète soufi, Hafez, Hafez qui vivait vers le XIIIe siècle. Et chaque poème est un enseignement, vivant, absolument vivant. L’histoire de Hafez est intéressante. Il y a une version légendaire de la façon dont il est devenu poète et un enseignant spirituel. Si vous pouvez regarder la légende, vous pouvez vraiment percevoir la réalité derrière la légende. Je vais vous en parler brièvement, parce que c’est en soi une instruction. C’est en soi un enseignement.

 

La légende dit que Hafez avait environ 20 ans, qu’il était d’un milieu modeste, quand il travaillait dans une boulangerie comme assistant. Tous les matins, il devait livrer le pain dans diverses maisons. Un jour, il livra le pain dans la grande résidence d’un riche aristocrate ou d’un riche commerçant et il vit la fille de cet homme qui était très belle et très raffinée. Il en tomba follement amoureux bien qu’il ne pût même pas lui parler, parce qu’elle était si loin de sa position sociale.

 

Il tomba donc profondément amoureux de cette belle fille, apparemment inaccessible, et il se mit à lui écrire des poèmes d’amour, en produisit un grand nombre. Je ne sais pas s’il les récitait à haute voix ou s’il les transcrivait, mais d’autres personnes les prirent et ils se propagèrent rapidement dans la ville où il vivait. Les gens récitaient ses poèmes d’amour. Peut-être ne savaient-ils même pas qu’il en était l’auteur, je ne sais pas. Bien qu’il comprît que c’était pratiquement impossible pour lui de rencontrer cette fille… Il était non seulement d’une classe sociale de loin inférieure à la sienne, mais il était encore considéré comme laid et petit. Il n’était donc pas beau et que pouvait-il faire ?

 

Il entendit alors cette histoire disant que si l’on passe quarante nuits sans sommeil près de la tombe d’un saint célèbre, si l’on peut le faire, on peut alors demander tout ce que l’on veut et Dieu répond favorablement à toute demande. Il décida donc que c’était là pour lui la meilleure solution pour obtenir l’amour de cette fille. Donc, pendant la journée, il continua de livrer son pain et d’aider dans la boulangerie, et il passa quarante nuit – c’est une légende – en restant éveillé près de la tombe de ce saint.

 

La dernière nuit, à la fin de la quarantième nuit, l’archange Gabriel lui est apparu en toute splendeur et lui dit : « Qu’est-ce que tu veux ? » Il regarda l’archange et il fut si saisi par le rayonnement de cet être qu’il se dit : « Si cela est l’archange, qu’en est-il de Dieu ? » Et ainsi, sans même s’en rendre compte, ce qui sortit de sa bouche ne fut pas « je veux l’amour de cette fille », mais il dit en réponse à la question « Je veux Dieu ». Et l’archange Gabriel dit : « Va voir ce maître demain ».

 

Le jour suivant, il alla donc voir ce maître soufi, un maître soufi célèbre qui vivait dans la ville et il devint disciple pendant de très nombreuses années. Ce fut le début de son éveil spirituel. Et pendant son apprentissage, pendant qu’il était disciple, il produisit encore des poèmes. Ce ne furent plus des poèmes pour une fille, mais ce furent des poèmes pour Dieu, ou pour la dimension transcendante, tout ce qui pointe vers cela. Il fut aussi encouragé par son maître à écrire des poèmes. Son maître était lui-même un poète. Voilà la légende. Il obtint ce qu’il avait demandé. Après de nombreuses années, il devint lui-même progressivement, non seulement un poète très célèbre, mais également un grand maître.

 

Si nous regardons au-delà de la légende la réalité qui s’y cache probablement, nous pouvons voir qu’il est certainement vrai qu’il éprouvait un amour obsessionnel, qu’il brûlait complètement d’amour pour une fille inaccessible. Il est probablement vrai aussi qu’il provenait d’un bas niveau social et qu’il était laid et de petite taille.

 

Souvent, quand il arrive à des êtres humains… Quand il y a quelque chose dans leur vie qu’ils considèrent comme très important, comme fondamental et dont ils sont privés, un truc énorme généralement considéré comme indispensable à l’épanouissement, par exemple un handicap physique ou une autre grosse chose dont ils sont privés dans la vie, l’amour des parents, quelque chose qui est considéré comme fondamental et qui manque, un morceau énorme manque pour que la vie soit complète, pourrait-on dire, comme si quelque chose leur avait été enlevé. Et je pense que ce fut le cas pour lui : l’amour n’était pas réciproque et il n’y avait aucune chance pour qu’il le soit.

 

Quand quelque chose comme ça arrive où vous êtes privés de quelque chose que vous considérez comme important ou qui serait normalement considéré comme important pour son épanouissement, pour vivre une vie accomplie, il y a deux possibilités : soit vous êtes une personne pleine de colère, amère, vous vous apitoyez sur vous-mêmes, vous vous en prenez à Dieu ou à d’autres gens, soit vous passez à un niveau plus profond du fait de cette faille importante dans votre vie et quand vous allez dans cette faille, elle vous amène dans le sans-forme. Et si vous la fuyez, vous souffrez.

 

Aller dans la faille veut dire vous y abandonner et accepter que ce soit ce qui est. Toute négativité se dissout alors, toute lamentation se dissout. Vous allez alors dans la faille et ce morceau énorme qui manquait dans votre vie, ordinairement considéré comme quelque chose qui empêche d’être heureux et épanoui, devient un véritable point d’entrée dans la dimension plus profonde.

 

Ainsi, je pense que c’est ce qui lui est arrivé. Il y eut plus tard cette légende, cette belle légende qui contient toujours la vérité essentielle. Après la mort de Hafez, pendant des centaines d’années, les gens allaient sur sa tombe en pèlerinage. Des centaines de milliers de personnes ont continué au fil des années d’aller sur sa tombe et cela a continué des centaines d’années.

 

Hafez parle ici dans l’un de ses poèmes. Le titre de ce poème, c’est « J’ai tant appris ».

 

« J’ai tant appris de Dieu que je ne peux plus m’appeler un chrétien, hindou, musulman, bouddhiste ou juif.

 

La vérité s’est tant partagée avec moi que je ne peux plus m’appeler un homme, une femme, un ange ou même une pure âme.

 

L’amour a pris si totalement sous son aile Hafez qu’il est devenu poussière et m’a libéré de tout concept et image que mon esprit ait jamais pu connaître. »

 

Quel beau poème qui met là en mots ce qui est au-delà des mots ! Il met en mots la dissolution de toutes les structures conceptuelles de son mental, en allant dans le sans-forme et en comprenant son identité essentielle en tant que cette dimension transcendante. Il ne dit même pas « je suis une âme pure ». C’est toujours un concept. Il ne dit pas « je suis devenu un ange ». C’est un concept. « Je ne suis certainement pas un homme, une femme, chrétien, hindou, musulman, bouddhiste, ni juif ». Il va au-delà de tout cela.

 

Et la réalité est le sans-forme lui-même, ce que les bouddhistes appellent le vide, ce que Jésus appelait la plénitude de vie : « Je suis cela ». Vous ne pouvez plus le nommer. Si vous le nommez, ce n’est pas cela. Comme le dit Lau-Tsé »Dès l’instant où vous le nommez, ce n’est pas cela ». Il décrit donc son propre état et vous pouvez voir que les gens qui sont identifiés à partir d’une réalité conceptuelle n’aiment pas quelqu’un qui s’exprime ainsi. Il dit « je ne suis plus musulman ». Quoi ? Il est allé au-delà de tous ces concepts.

 

Parfois, il parle dans ses poèmes de certains schémas égoïques qui ne sont pas reconnus, parce qu’ils sont tellement normaux, et en écrivant de petits poèmes là-dessus, il peut aider les gens à devenir conscients de ces schémas inconscients qui les séparent de la dimension de la profondeur. Ce poème s’intitule « Le triste jeu » :

 

« Le blâme pérennise le triste jeu. Il continue de vous ravir toute votre richesse pour la confier à un imbécile sans talents financiers. Ami, réveille-toi ! »

 

C’est bien sûr une stratégie égoïque très commune. Une stratégie de l’ego par laquelle il se perpétue et se renforce lui-même est le blâme. Ainsi, il dit : « Le blâme pérennise le triste jeu. Il continue de vous ravir toute votre richesse pour la confier à un imbécile sans talents financiers. Ami, réveille-toi ! ». Deviens sage, réveille-toi ! Le blâme. Toutes sortes d’accusations… C’est une manière égoïque favorite pour renforcer l’ego et renforcer l’illusion. Vous pouvez le détecter quand vous blâmez les gens, les situations, les événements, le temps, quoi que ce soit. Cela vous maintient dans le piège de l’illusion.

 

Voici un autre petit poème ; non pas sur Dieu, mais sur ce qui fait obstacle à Dieu, présenté comme celui qu’on vient de lire, l’obstacle à la réalisation. Ce petit poème dit : « Cesse d’être si religieux ! » :

 

« Qu’est-ce que les gens tristes ont en commun ? Il semble qu’ils aient tous bâti un tombeau pour le passé, qu’ils s’y rendent souvent et qu’ils y proclament d’étranges gémissements ou adorations. Quel est le début du bonheur ? C’est arrêter d’être aussi religieux que cela. Cesse d’adorer le passé ». N’allez plus sur ce tombeau.

 

« Cesse d’être aussi religieux que cela ! » Ce qui est magnifique, c’est qu’il y a aussi beaucoup d’humour dans beaucoup de ces poèmes.

 

En voici un charmant : « La coupe immobile », « La coupe immobile ».

 

« Pour que Dieu puisse faire l’amour, pour que l’alchimie divine puisse opérer, la cruche a besoin d’une coupe immobile. Pourquoi demander à Hafez d’en dire plus sur ton besoin le plus essentiel ? » Je le relis encore une fois : « Pour que Dieu puisse faire l’amour, pour que l’alchimie divine puisse opérer, la cruche a besoin d’une coupe immobile. Pourquoi demander à Hafez d’en dire plus sur ton besoin le plus essentiel ? »

 

C’est tout ce qui est nécessaire : la Cruche, Dieu ne peut donner que si la coupe est immobile. C’est tout ce qui a besoin d’être dit. C’est votre besoin le plus essentiel. « Reste immobile, sois tranquille et sache que je suis Dieu ». Rien d’autre n’est nécessaire.

 

Là encore l’humour sert de moyen. Le titre de ce poème est « Si tu n’arrêtes pas ça »

 

« Je vivais dans une maison exiguë, dans le trouble et la douleur, mais je rencontrai alors l’Ami », l’ami est Dieu dans le langage soufi, «Mais je rencontrai alors l’Ami, me mis à me soûler et à chanter toute la nuit. Le trouble et la douleur commencèrent à m’affecter gravement en proférant des menaces telles que « Si tu n’arrêtes pas ça, tous ces amusements, nous partons ».

 

Il y a tant de beaux poèmes.

 

« Où est la porte qui mène à Dieu ? » Dans le son d’un chien qui aboie, dans le tintement d’un marteau, dans une goutte de pluie, dans le visage de tout un chacun que je vois. »

 

Voici un beau poème instructif, un peu plus long : « Devenir humain »

 

Une fois, un homme est venu me voir et m’a parlé pendant des heures des grandes visions sur Dieu qu’il pensait avoir. Il me demanda confirmation en disant : « Ces rêves extraordinaires sont-ils vrais ? ». Je répondis : « Combien as-tu de chèvres ? » Il m’a regardé surpris et dit : « Je parle de visions divines et tu m’interroges sur mes chèvres ! »

 

Je repris alors en disant : « Oui, frère, combien en as-tu ? »

 

- « Eh bien, Hafez, j’en ai 62 »

.

- « Et combien de femmes ? ». Une fois de plus, il eut un regard surpris et dit : « Quatre » « Combien de rosiers dans ton jardin ? Combien d’enfants ? Tes parents sont-ils encore en vie ? Est-ce que tu nourris les oiseaux en hiver ? » Et il répondit à toutes les questions. Je dis ensuite : « Tu me demandes si je pense que tes visions sont vraies. Je dirais qu’elles le sont si elles te rendent plus humain, plus aimable envers toute créature et toute plante que tu connais ».

 

Il y a donc un bel enseignement dans ce poème, davantage un critère pour la véritable réalisation spirituelle. Qu’il s’agisse d’une grande vision que vous avez ou d’une autre expérience que vous faites, le critère est votre comportement dans la vie quotidienne : vos chèvres, vos femmes ou votre femme et tout ce avec quoi vous avez affaire : les gens, les plantes, les animaux. Si votre réalisation spirituelle ou vos visions ne transforment pas cela, s’il n’y a pas l’amour et la joie, il n’y a pas alors de transformation.

 

Je crois que ce poème était une vraie situation dont Hafez a fait l’expérience. Je suis sûr qu’il raconte presque littéralement son interaction avec cet homme qui était venu le voir. C’est donc toujours la même question : comment est-ce que cela affecte votre vie quotidienne ou comment se déroule-t-elle ? Quelle est votre relation aux gens ?

 

N’est-ce pas magnifique ? Chaque petit poème est une énergie ; c’est un enseignement, un champ d’énergie qui vous vient, transformationnel.

 

Un jour, le soleil perçut la véritable nature de Dieu et il ne fut jamais le même. Ainsi, cette sphère radiante déverse constamment son énergie sur cette terre, tout comme lui-même de l’arrière du voile. Avec un Dieu aussi merveilleux, pourquoi tout un chacun n’est pas ivre de joie ? La supposition de Hafez est la suivante : toute pensée que vous êtes meilleur ou moins qu’un autre homme brise rapidement le verre à vin ».

 

Cela pointe là encore vers un obstacle très commun. Toute pensée que vous êtes meilleur ou moins que quelqu’un d’autre brise rapidement le verre à vin. Le vin est la joie de Dieu, le pouvoir de Dieu, et il compare bien sûr ici le soleil avec Dieu : « Un jour, le soleil perçut la véritable nature de Dieu et il ne fut jamais le même. Ainsi, cette sphère radiante déverse constamment son énergie sur cette terre, tout comme lui-même », Dieu, « de l’arrière du voile », le non-manifesté.

 

« Avec un Dieu aussi merveilleux, pourquoi tout un chacun n’est pas ivre de joie ? » Il veut en fait dire ici grisé de joie et de vie, de la plénitude de vie. L’une des raisons est la simple pensée qui vous fait vous comparer aux autres. Autrement dit, la réalité conceptuelle dans la tête vous empêche cette réalisation. C’est toujours cela, qu’importe la forme que cela prend.

 

Et voici l’un de ses poèmes les plus célèbres et magnifiques. Je l’ai déjà cité une ou deux fois dans des causeries :

« Je suis un trou dans une flûte à travers lequel passe la respiration du Christ. Écoute cette musique ».

« Je suis un trou dans une flûte à travers lequel passe la respiration du Christ. Écoute cette musique ».

 

Il ne dit pas « je suis une flûte », il dit « je suis un trou dans une flûte », parce que s’il avait dit « je suis une flûte », il se serait donné une réalité dans la forme, une identité en tant que forme, mais si vous êtes un trou dans une flûte, vous n’avez pas d’identité en tant que forme et c’est seulement parce que vous réalisez votre état essentiel sans forme que la respiration de Dieu peut y passer et jouer cette musique.

 

Ce poème a une seconde partie que je vais lire et nous aurons ainsi le poème entier :

 

« Je suis un trou dans une flûte à travers lequel passe la respiration du Christ. Écoute cette musique.

 

Je suis le concert de la bouche de toute créature, chantant avec des myriades de choeurs ».

 

Il y a là un grand pouvoir ! Tous ces poèmes sont écrits d’un endroit de silence et de réalisation, très rares et il en a produit des centaines. Il ne les a pas produits, ils sont venus à travers lui et tous sont des enseignements.

 

Voilà donc les soufis. Il y a un autre poète soufi très célèbre, Rumi, et un jour, nous consacrerons peut-être une séance à ses poèmes. Toutes les paroles pointent finalement, non pas vers elles-mêmes, mais au-delà d’elles-mêmes. Toutes pointent vers la dimension transcendante. Donc, comme le dit ce poème lu tout à l’heure, ne me demandez pas de dire autre chose. La seule chose que vous avez besoin de savoir est que vous avez besoin d’être silencieux, tranquilles, immobiles. La coupe doit être immobile.

 

Peut-être devrais-je me lever, danser et tourner – je ne le ferai pas – mais cela serait approprié…

 

Merci d’être avec moi, d’être en fait avec vous-mêmes.



13/07/2014
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