Eckhart Tolle « Les plus belles leçons de Socrate »

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Il y avait un homme dont beaucoup d’entre vous ont entendu parler, dont certains ont lu de ses enseignements. Il s’agit de Socrate. Il vivait en Grèce il y a environ 2400 ans. Il n’a jamais rien écrit. Ses disciples ont plus tard transcrit ce qu’ils se rappelaient. Platon était l’un de ses disciples principaux. Il a écrit « Les dialogues socratiques ». On ne sait évidemment pas si ce que Platon a écrit est exactement ce que Socrate enseignait. D’une certaine manière, dans les écrits de Platon, Socrate est un personnage littéraire.

 

La caractéristique des dialogues socratiques est le fait que Socrate pose des questions aux gens qui viennent recevoir son enseignement. Il ne semble pas avoir immédiatement la réponse. Il pose des questions, la personne répond. Il conduit petit à petit la personne jusqu’à la réponse. Dans les dialogues que certains d’entre vous peuvent avoir lu, en partie… – De nos jours, il n’y a peut-être pas grand monde qui lise Platon. Les dialogues donnent l’impression que Socrate manipule un peu en quelque sorte les gens qui viennent le voir. On a l’impression qu’il sait déjà la réponse et qu’il fait simplement semblant de ne pas la connaître. C’est l’impression qu’on a en lisant les dialogues.

 

Et je pense qu’il s’agit surtout du personnage que Platon a créé, mais je crois – et j’en ai la preuve – que ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé. Je crois – je vous dirai pourquoi dans une minute – que Socrate débutait en réalité chaque séance d’enseignement à partir d’un endroit de non-connaissance de la réponse contrairement à l’impression qu’on a en lisant les dialogues socratiques : « Il connaît déjà la réponse Il fait juste semblant de ne pas savoir ». Non. Comment est-ce que je le sais ? Socrate dit : « On m’appelle le plus sage de tous les hommes et la raison pour laquelle on m’appelle le plus sage de tous les hommes, c’est parce que je suis le seul à savoir qu’il ne sait rien.

 

Et à nouveau, après avoir lu les dialogues socratiques, on pense que Socrate prétendait à tort qu’il ne savait pas. Non, je crois que son pur point de départ était l’aptitude à aller dans cet état de non-savoir, plutôt que de s’exprimer à partir de la connaissance déjà accumulée et d’attendre alors que cela vienne de la tête. Et c’est pourquoi il était capable de penser de façon créative. Il enseignait en fait… – On pourrait presque dire qu’il enseignait à l’humanité comment penser, pour la première fois penser de façon rationnelle, mais sa pensée est créative, fraîche et nouvelle. Et c’était un processus entre lui et les gens qui venaient le voir. Il y avait un champ d’énergie qui émergeait et les réponses surgissaient de ce champ d’énergie. Elles arrivaient tantôt à travers lui, tantôt à travers les gens qui venaient le voir.

 

Il y a une autre chose intéressante qu’il disait, qui n’est pas rapportée par Platon, mais par un autre de ses disciples, appelé Xénophon. Il dit que Socrate indiquait fréquemment qu’il recevait conseil d’une voix divine. Et à nouveau, c’est quelque chose que les rationalistes occidentaux essaient d’ignorer. Pour eux, Socrate est absolument le penseur clair, rationnel, analytique et conceptuel. Et ils ne voient pas – parce qu’ils ne connaissent pas cette dimension en eux-mêmes – ils ne voient pas la profondeur d’où surgissait vraiment sa pensée.

 

Donc, Socrate disait fréquemment, comme le rapporte Xénophon, qu’il était guidé par une voix divine. Ce n’est pas dans le sens où une entité se serait exprimée à travers lui, mais apparemment, il faisait allusion à une inspiration à partir d’une dimension en lui qui était au-delà de la pensée, de la conceptualisation, de la pensée rationnelle.

 

L’impression qu’on a de Socrate provient de ce qu’on ne voit que la moitié de l’histoire. On ne voit que la moitié émergée de l’iceberg. En réalité, on en voit beaucoup moins que la moitié. On en voit qu’une toute petite partie. Quand ces choses sont enseignées à l’université, par exemple, la dimension plus importante est en fait complètement oubliée. Ils ne considèrent que la surface : « De quoi est-ce qu’il parle ? Qu’est-ce qu’il dit ? ». Mais d’où tout cela provenait-il ? Quel était l’état de conscience d’où pouvaient émerger un enseignement aussi créatif, des pensées aussi créatives ?

 

Et il y a donc cette dimension de la conceptualisation, de la pensée qui se trouve en tout un chacun, mais la dimension de l’intelligence non conceptuelle est également en tout un chacun. Or, de la même façon que nous ne voyons que la moitié de l’enseignement – ou moins que la moitié – quand nous nous intéressons à Socrate à travers les yeux de Platon et des interprètes occidentaux, la plupart des humains passent leur vie en ne se connaissant eux-mêmes et le monde que dans une seule dimension. Et nous pouvons l’appeler « la dimension de la forme ».

 

Après être passés par la Grèce, considérons un endroit dont nous pouvons immédiatement faire l’expérience, ici et maintenant. Assis ici, vous êtes conscients de vous-mêmes telle une entité en tant que forme de façon évidente, parce que vous êtes conscients de votre corps, lequel est une forme physique ; vous êtes conscients de votre passé, bien que vous puissiez ne pas vous le rappeler (c’est vaguement là) ; vous savez que vous avez un passé, un nom, une adresse et une situation existentielle qui peut ne pas se manifester ici et maintenant, à moins que vous n’y pensiez, mais vous avez une situation existentielle ; tout votre passé personnel est là et vous avez peut-être des pensées qui vous traversent la tête. C’est ce avec quoi la plupart des gens s’identifient et ce qu’ils connaissent ; c’est tout ce qu’ils connaissent. Ils se connaissent eux-mêmes en tant que cette entité basée sur la forme.

 

Et qu’est-ce qui est là également ? Il y a ce qui en vous est continuellement négligé, parce que le monde de la forme qui inclut les pensées qui jaillissent sans cesse, le monde de la forme a un attrait tellement hypnotique – il est si séduisant – que vous le suivez. D’abord, vous avez les sens, les sens extérieurs, mais vous avez surtout la séduction suscitée par les interprétations intempestives de l’apport sensoriel. Si vous examinez votre état de conscience, vous remarquez que l’apport sensoriel représente relativement peu de choses par rapport à ce qui se passe dans votre tête.

 

Une partie bien plus importante de ce qui se passe dans votre tête est, soit l’interprétation de l’apport sensoriel, immédiatement interprété à travers le conditionnement mental, le filtre, soit, cet apport étant complètement ignoré, le fait d’être tout entier plongé dans le flot des pensées , autrement dit totalement inconscients de ce qui vous entoure, parce que vous êtes absorbés par la séduction que suscite l’émergence des pensées et qui attire toute votre attention, votre conscience.

 

Vous devenez ainsi une entité entièrement constituée de pensées, du « moi ». Et vous ne connaissez pas d’autre dimension en vous. Si l’on est complètement identifié avec cela, la seule suggestion qu’il puisse y avoir une autre dimension sera immédiatement bafouée. L’entité fabriquée par le mental peut aussi se sentir menacée par cette dernière. C’est pourquoi, dans de nombreuses publications, la moindre allusion à la spiritualité doit être tournée en dérision. Dès l’instant où ils évoquent la spiritualité, Il leur faut introduire quelque chose qui la rend un peu ridicule, dans le New York Times, le Time Magazine, par exemple, et bien d’autres (pas tous, il y a des exceptions). Mais c’est la faute de personne. C’est l’entité fabriquée par le mental qui ne connaît que la forme, qui ne connaît que la pensée.

 

Et c’est une horrible limitation. Cela réduit votre vie à quelque chose de très petit. En réalité, vous vivez dans une boîte, une petite boîte dans votre tête. Vous ne pouvez pas aller au-delà de votre conditionnement mental et chaque pensée qui surgit vous saisit immédiatement . . . Vous vous y précipitez. Ainsi, beaucoup de gens sont à peine conscients du monde qui les entoure. Et s’ils en sont conscients, Ils le jugent immédiatement. Et vous pouvez voir des gens se promenant dans la forêt ou au bord de la plage : Même là, juste face à ce qui est là, où lors de brefs moments, ils disent « oh, c’est beau ! », ils retournent à . . . « Oh, écoute, c’est une belle chanson, tu ne trouves pas ? » . . .

 

Le degré auquel les humains sont absents de la vie, laquelle est bien sûr ici et maintenant, le moment présent où est la vie – nulle part ailleurs – le degré auquel les humains sont absents de la vie varie d’une personne à l’autre, mais de nombreux humains sont de nos jours extrêmement absents de sorte qu’ils ne connaissent pas vraiment la vie en tant que telle. Toute leur vie est constituée de leur situation existentielle, laquelle est une histoire dans la tête. C’est ce qui absorbe leur attention. C’est la seule chose qui importe.

 

Vous ne connaissez donc que les formes, les formes extérieures auxquelles vous êtes identifiés. Bien sûr, elles sont toutes converties en formes mentales : chaque forme extérieure avec laquelle vous vous identifiez : les possessions, les opinions des autres, le statut, le prestige, les succès ou les échecs. Ce ne sont que des idées. Même votre maison est au fond une idée quand elle participe à votre identification. « Ma maison » est une idée dans votre tête. C’est l’idée avec laquelle vous vous identifiez plutôt que la maison avec laquelle vous vous identifieriez. L’idée de « ma maison » qui devient… – L’idée bien sûr est une pensée. La pensée est imprégnée du soi, parce que vous vous identifiez avec cela. Et vous avez là la condition dont le Bouddha parle comme étant l’ignorance qui conduit à la souffrance.

 

Si vous ne connaissez rien d’autre, si vous ne connaissez pas ce que le bouddhisme appelle parfois le vide, la dimension sans forme de qui vous êtes, votre vie reste une succession de problèmes, de frustrations, d’ennuis. Des choses stupides qui se succèdent. Et quand vous n’avez pas de problèmes dans votre vie, votre mental examine de près une prochaine chose qui va aller mal, oh non pas seulement une, mais la prochaine succession de choses qui peuvent se passer mal et se passeront probablement mal, parce que vous avez bien retenu de votre passé que les choses se passent toujours mal.

 

C’est donc l’horrible condition que représente l’ignorance. Ignorance ne veut pas dire manque de culture. Vous pouvez être très cultivés et complètement ignorants en termes spirituels, complètement ignorants au niveau transcendant, parce que vous êtes complètement identifiés à votre mental. En fait, si vous êtes très cultivés, la probabilité que vous soyez complètement ignorants est beaucoup plus grande, parce que vous êtes alors encore plus identifiés à votre mental.

 

Et donc, comment alors nous rendre compte de la dimension transcendante intérieure, de ce qui va au-delà de la forme, de ce qui va au-delà de la pensée, comment connaître cette dimension pour nous-mêmes ? Afin de nous rendre compte de ce qui va au-delà de la pensée, Nous pourrions dire, eh bien, que la pensée doit s’arrêter, doit faire une petite pause, par exemple maintenant. C’est la cessation des pensées où il semble qu’il n’y ait rien, mais ce n’est pas vraiment rien (nothing en anglais), Ce n’est « aucune chose » (jeu de mot en anglais), en effet, parce que ce n’est pas une forme. Il y a simplement quelque chose que nous ne pouvons pas conceptualiser en réalité, parce que dès l’instant où nous en parlons, nous en faisons quelque chose.

 

C’est l’expression célèbre, la première phrase du Tao Te King : « S’il peut être nommé, ce n’est pas le véritable Tao, parce que le Tao est le sans-forme ». Cela pénètre le monde de la forme. Donc, la cessation des pensées a vraiment lieu là où la dimension du sans-forme s’ouvre en vous. Et cet enseignement, comme tout enseignement spirituel véritable – peu importent les mots utilisés pour en indiquer la direction – parle de cela, parle de l’ouverture en vous de cet espace qui est la conscience sans forme.

J’utilise déjà trop de termes, parce que le mental peut dire alors : « Ah, maintenant, je sais ce que c’est. C’est la conscience sans forme ». C’est bien sûr un autre concept. Cela ne doit pas être utilisé comme explication, mais comme une sorte de poteau indicateur. « La conscience sans forme » pointe vers ce qui ne peut être nommé. Donc, si je dis « conscience sans forme », ne soyez pas comme un chien qui regarde votre doigt. Si je dis « conscience sans forme », vous devez regarder . . . là où il n’y a rien, en vous.

 

Maintenant, ceux parmi vous qui sont avancés spirituellement sont capables d’aller dans cette dimension sans pensées, juste comme ça ! Vous le faites quand vous le voulez. Il n’y a rien à quoi réfléchir, Je ne vais donc pas penser. Et vous pouvez vraiment . . .

 

Assis ici, par exemple, alors que vous attendiez le début de l’intervention, j’étais personnellement assis dans le foyer des artistes en attendant de venir ici. Est-ce que j’étais assis là en tant qu’identité basée sur la forme ou en tant que présence sans forme ? Et quand vous étiez en train d’attendre ici, étiez-vous assis en tant que cette identité basée sur la forme, pensant à votre vie, à ce matin, vous demandant quand il allait venir, de quoi avaient l’air les gens, s’ils étaient plus avancés que vous . . . ou pensant à vos problèmes « je n’aurais pas dû venir ; pourquoi est-ce que je suis venu ? Et demain ? Il faut que je… » ? Vous êtes alors assis là en tant qu’identité basée sur la forme : « Pourquoi est-ce que c’est si long ? Il est déjà cinq, pourquoi n’est-il pas encore là ? ».

 

Ou bien étiez-vous assis là juste en tant que simple présence sans forme ? Sans aucun jugement, permettant à ce qui est d’être, permettant à cet instant d’être. C’est intéressant quand les pensées cessent et qu’il y a cette présence spacieuse. Cela implique bien sûr que, quoi qu’il se présente, vous permettez que cela soit tel que c’est. C’est le résultat du fait de ne pas penser, mais cela peut aussi être une pratique qui vous amène à ne pas penser en tant que pratique consciente.

 

Si vous n’êtes pas encore capables d’aller simplement dans l’espace de la présence, vous pouvez utiliser la pratique spirituelle consistant à devenir amical, comme je le dis parfois, devenir amical avec le moment présent. En d’autres termes, quelle que soit la situation de l’instant, vous faites entièrement corps avec la chose, vous ne vous y opposez pas intérieurement. Cette pratique vous amène aussi dans l’espace en vous-mêmes ; c’est ce qui s’ouvre en vous en pratiquant ainsi.

 

C’est une pratique magnifique : permettre à la vie d’être telle qu’elle est en cet instant. « Et pourquoi est-ce que je le permettrais ? » Eh bien, parce que c’est déjà ! Et si vous pensez… – Penser n’est plus prenant, parce que la plupart du temps, vous niez ce qui est ou fuyez ce qui est et cela constitue toute l’activité mentale. Vous devez donc voir pour vous-mêmes si vous êtes capables d’incarner cet état sans pensées, simplement en disant « OK ! ». En réalité, quand vous n’interprétez pas continuellement, vous vous sentez beaucoup plus vivants. Une liberté prodigieuse arrive alors. Tout à coup, la boite dans laquelle vous étiez emprisonnés, où la plupart des humains restent piégés, la boîte d’où ils jettent des regards furtifs à travers les trous . . ., Tout à coup, la boîte s’ouvre et vous êtes dehors.

 

Et c’est l’état dont Socrate parle quand il dit : « Je suis le seul à savoir qu’il ne sait rien ». Cela implique bien sûr que personne d’autre ne sait rien non plus. Mais ils ne le savent pas. Ils croient en chaque pensée qui surgit dans leur tête. Ils sont donc pleins de connaissance, à savoir des concepts accumulés, des formes-pensées accumulées dans la tête et à travers quoi ils jugent la vie et les autres en créant une horrible réalité, parce que cela n’est pas le tout ; ils ne sont conscients que d’une toute petite partie.

 

Donc, quand vous jugez un autre humain, par exemple… – et juger signifie mettre le comportement inconscient d’une personne, sa stupidité, sur le même pied que ce qu’elle est. Quand vous jugez un autre humain, en parlez en termes négatifs, etc., vous passez à côté de la dimension importante de cet autre humain, qui est le sans-forme. On pourrait dire « le divin ». Et quand vous le laissez échapper chez les autres, vous le laissez échapper chez vous-mêmes, parce que vous êtes poussés à croire aux jugements, lesquels sont des formes-pensées. Vous êtes donc emprisonnés dans vos propre formes-pensées. Vous êtes emprisonnés en l’autre personne, dans vos formes-pensées, mais vous êtes surtout emprisonnés en vous-mêmes, dans vos propres formes-pensées.

 

On pourrait donc dire que la conscience est emprisonnée dans la forme. Et c’est l’ignorance qui crée la souffrance pour vous-mêmes et que vous infligez ensuite aux autres. La pratique importante est donc de devenir conscient de ce qui en vous n’a rien à voir avec une forme. C’est la présence elle-même, l’espace, le calme. Le calme n’implique pas que vous ayez besoin de silence autour de vous. Vous pouvez avoir beaucoup de bruit autour de vous et demeurer complètement calmes. Vous n’avez pas besoin de silence pour être calmes. En fait, c’est une chose merveilleuse quand… – Disons qu’il y a autour de vous du bruit ennuyeux. Dans notre civilisation, il y a énormément de bruit que l’on produit. C’est presque comme si l’on ne pouvait pas supporter le silence.

 

Donc, il faut que chaque moment soit rempli avec du bruit et une fois de plus, ce n’est qu’une extériorisation de ce qui se passe dans le mental humain qui s’est tellement identifié à la voix dans la tête, au bruit continu de la pensée, qu’il ne peut tolérer le silence. Cela doit donc être manifesté à l’extérieur : « OK, que peut-on inventer pour créer plus de bruit ? Cela ne suffit pas que les machines soient bruyantes. On doit en créer plus » Il est très difficile de nos jours de trouver un restaurant qui ne soit pas bruyant. Ce n’est qu’une extériorisation d’un état intérieur.

 

Mais quand vous permettez à ce qui est d’être, parce qu’il arrive que vous vous trouviez dans un restaurant bruyant, par exemple, vous pouvez vous en aller, mais vous avez déjà passé votre commande si vous avez faim et vous savez que ce sera pareil ailleurs. Vous êtes donc là et vous vous dites : « Je ne peux pas rester ici dans ce bruit. Je n’ai pas envie d’être ici ». Quelle est cette pensée qui surgit dans votre tête ? « Je ne peux pas supporter ça. Pourquoi est-ce que je devrais ? ».

 

Maintenant, vous pouvez aussi vous dire : « OK, mon choix est d’être ici. J’ai déjà commandé une soupe. Est-ce que je peux permettre à cet instant d’être tel qu’il est puisqu’il est ? ». Et quand vous vous posez cette question, après cette question si ça marche comme ça devrait ou pourrait, si ça marche après vous être demandé « puis-je permettre à cet instant d’être tel qu’il est ? », vous arrivez dans l’état sans pensées.

 

Et vous vous rendez compte tout à coup que toutes les pensées qui vous disaient « c’est horrible, je ne peux pas le supporter », n’étaient rien d’autre que des pensées. Mais vous y aviez cru et tant que vous continuiez de croire à ces pensées, elles vous contrôlaient. Et si vous vous demandez « puis-je permettre à cet instant d’être tel qu’il est ? », il y a tout à coup un espace. On pourrait pratiquement dire que vous devenez l’espace dans lequel se déroule ce qui arrive à l’instant. Et vous découvrez donc le calme en vous qui n’a rien à voir avec les conditions extérieures.

 

Et vous êtes alors dans le même état intérieur que vous soyez dans la forêt, entourés de belle nature – « OH, je peux vraiment être calme ici ». Et vos sens sont ouverts à toute la beauté environnante. Et à mesure que vous vous rendez compte qu’en réalité, le calme demeure en vous, à l’arrière-plan des pensées, vous pouvez vous retrouver une heure plus tard au centre commercial, juste avant Noël, quand ils repassent ce que le mental appelle « ces horribles chansons »… – « Tous les ans, devoir écouter ces trucs à l’eau de rose et ils commencent 6 ou 7 semaines avant Noël ! Je ne peux plus supporter ça, il faut que je m’en aille ! ».

 

« OK, est-ce vrai ? Est-ce que je ne peux vraiment pas le supporter ? Ou puis-je permettre à ce moment d’être tel qu’il est ? » Bien sûr, vous avez toujours le choix de partir ! Mais il vous faut permettre ce moment, parce que l’instant d’après, vous vous retrouvez dans la circulation. Et il fait froid. Où que vous alliez, vous ne pouvez pas vous échapper. Finalement, vous arrivez toujours au point où la question se pose : puis-je permettre à ce moment d’être tel qu’il est ?

 

Et vous dites : « Oui ! ». Et vous pouvez en fait apprécier le centre commercial comme une manifestation du jeu incroyable des formes de la vie qui se met en place sur cette planète, la multiplicité des formes de la vie, les humains qui courent partout… Avant vous les jugiez : « Regarde un peu ces gens stupides, avec leur Noël ! Pourquoi est-ce qu’ils perdent tant de temps ? ».

 

En soi, ça peut être vrai, mais c’est une vérité partielle. C’est une partie de la vérité, cela n’est pas tout. Ce n’est donc pas entièrement faux de dire qu’ils sont embarqués dans des activités tout à fait inutiles. Évidemment, ils sont complètement identifiés avec les formes, etc., etc. Nous savons qu’ainsi, la vie est dénuée de sens. Nous savons tout ça. Certains jugements mentaux ont donc une vérité relative, mais ce n’est pas tout. Or, en abandonnant les jugements du mental et en permettant à l’instant d’être, ce que vous voyez tout à coup, ce sont en réalité les manifestations de la vie incluant le centre commercial.

 

Il y a les êtres humains, certains sont nerveux, d’autres sont… – Vous les observez simplement. Certains sont nerveux, d’autres sont . . . Et vous voyez alors toutes ces choses que les humains ont fabriquées, ont fait exister, toutes les choses, des milliers de choses partout, des choses, des choses. Où que vous regardiez . . .Et à nouveau, vous regardez tout cela désormais d’une façon différente. Vous appréciez… En fait, quand vous permettez, vous appréciez également la multiplicité des choses. Vous pouvez vous promener et regarder.

 

Donc, vous appréciez la vie telle qu’elle se déroule en cet instant. C’est ce que l’univers a amené à l’existence dans l’instant. Vous le permettez ! Et vous vous rendez compte que vous demeurez calmes. Vous avez en vous le même calme que vous aviez dans la forêt il y a une heure. Et c’est donc le point d’accès à l’état de la dimension sans forme, de la dimension spirituelle, de l’essence qui est bien sûr toujours dans le moment présent. Votre relation, pour ainsi dire, votre relation avec le moment présent détermine si vous êtes emprisonnés dans la forme ou si quelque chose s’ouvre là pour vous.

 

Donc, le moment présent peut être une porte fermée – vous avez envie d’aller ailleurs – ou elle peut s’ouvrir tout à coup. Quoi qu’il arrive en cet instant, quelle que soit la forme qui se présente en cet instant, cela peut être quelque chose que vous jugez comme n’étant pas assez, comme étant indésirable, insatisfaisant ou quelque chose qui représente une ouverture. Nous avons donc des centres commerciaux, la forêt, des situations parfois plus contrariantes que les centres commerciaux. Les centres commerciaux ne sont pas aussi contrariants que ça.

 

Mais il y a des situations dans la vie qui représentent un défi, une difficulté, et cela signifie habituellement que quelque chose du monde de la forme devient incertain dans votre vie. Cela pourrait être par exemple votre entreprise qui a des problèmes et vous pourriez perdre votre emploi. Donc, quelque chose du monde de la forme n’est plus stable. Peut-être ne pourrez-vous pas compter sur votre plan de pension quand vous serez en retraite. Cette forme semblait si sûre dans votre vie et la voici incertaine. Et il peut aussi arriver dans la vie d’une personne, à une période particulière, que plusieurs choses soient déstabilisées en même temps : votre mariage, votre emprunt immobilier…

 

Et une chose similaire peut arriver en même temps à un million de personnes. Cela se produit parfois. Mais cela ne change pas grand-chose, parce que cela arrive en fait à une personne. C’est une personne qui y est confrontée. Que cette personne soit multipliée un million de fois ou que ce soit juste votre situation existentielle particulière n’importe pas vraiment. L’individu doit toujours faire avec. Et vous devenez conscients que le monde de la forme n’est effectivement pas aussi solide qu’il en avait l’air avant.

 

Et à nouveau, cela peut produire énormément de peur . . . ou vous pouvez vous reposer la même question, amener votre attention sur le moment présent : « OK, qu’est-ce qui est incertain à propos de ce moment ? Mon travail ? Non, je ne sens rien d’incertain à ce sujet dans l’instant. Mon emprunt immobilier ? En cet instant, non ; ce n’est pas un problème dans l’instant, n’est-ce pas ? Le travail, l’emprunt, le mariage qui pourrait ne pas tenir, ceci, cela, mon plan de pension qui vient de tomber à l’eau. De quoi est-ce que je vais vivre les vingt dernières années de ma vie ? »

 

Ce n’est pas un problème en cet instant. Cela peut devenir un problème ultérieurement, ce qui bien sûr sera à nouveau le moment présent et vous devrez vous reposer la question : « Est-ce un problème en cet instant ? ». Si vous entrez dans le moment présent, suffisamment en profondeur, ce qui est au-delà de la forme se révèle. À nouveau, quand votre vie est problématique… – Le passé est peu satisfaisant, ne s’est pas déroulé comme il aurait dû. Le futur est menaçant. Et vous vivez donc entre le passé peu satisfaisant, qui ne s’est pas déroulé comme il était supposé se dérouler, et le futur menaçant. Vous bougez . . . . Quelle horrible existence !

 

Et imaginez toute votre vie ! Et bien sûr, c’est pire à certaines périodes quand des défis se présentent ; c’est pire qu’à l’état normal qui est toujours là, mais quand les choses se compliquent, c’est beaucoup plus menaçant et le passé semble encore beaucoup moins satisfaisant : « Tout ce que j’ai construit dans le passé depuis trente ans s’effondre ».

 

Et il y a une occasion incroyable si vous pouvez utiliser ce moment et dire : « OK ! ». Accordez votre attention à ce moment et allez plus profondément dans… – Il y a d’abord la surface de ce moment qui est votre respiration, vos perceptions : il n’y a pas de problèmes. Vous êtes debout, assis ou allongés quelque part. Vous regardez autour de vous. Il y a la multiplicité des formes de vie autour de vous où que vous soyez, même dans votre pièce ; il y a des objets. Vous pouvez regarder par la fenêtre, il y a le ciel où que vous soyez. Vous regardez autour de vous.

 

Ensuite, vous devenez conscients de l’espace intérieur, l’espace de la conscience elle-même, sans quoi vous ne pourriez rien percevoir du tout, qui est la quiétude, ce qui est incroyablement vivant. Et vous connaître vous-mêmes en tant que cette essence est le véritable bonheur, pour peu que nous voulions utiliser ce mot « bonheur ». Et l’on pourrait dire alors, quand vous vous connaissez vous-mêmes en tant que cette simple essence pure de conscience, de présence (appelez cela comme vous voulez)… – Vous connaître en tant que cela, c’est « ananda », la félicité, le bonheur, le véritable épanouissement. Et vous êtes heureux sans raison, simplement parce que la source émane de l’être.

 

Donc, quand vous savez que vous êtes, « je suis », ce qui est la présence elle-même, le sans-forme, c’est le bonheur, c’est ananda, c’est la félicité d’être, et il n’y a pas à cela de raisons extérieures. En fait, cela arrive souvent aux gens quand à l’extérieur, les choses s’effondrent, se dissolvent, sont incertaines. Tout à coup, vous allez plus profond : . . Et en cela, la personne que vous êtes toujours au niveau de la forme s’est éloignée et quelque chose d’autre est venu dans cette dimension, pourrait-on presque dire.

 

La personne devient une ouverture à la présence ou à la présence divine. Vous pourriez dire « la présence de Dieu ». Vous êtes alors dégagés du fardeau de la personne, de la personnalité, qui peut bien sûr encore agir, qui agira encore, mais il y a pour vous maintenant la possibilité de vivre dans les deux dimensions, en tant que personne et en tant que présence sans forme. Dès lors, plus rien dans le monde de la forme n’est horriblement menaçant et rien dans le monde de la forme n’est terriblement sérieux.

 

Et même si quelque chose de dramatique arrive au niveau de la forme – des proches qui décèdent ou l’imminence de votre propre mort – oui, d’un point de vue limité, c’est toujours tragique : beaucoup de morts lors d’un accident, une attaque terroriste ou autres… Oui, c’est tragique, mais d’une perspective holistique, ce n’est pas absolument tragique, parce que vous réalisez la vérité de ce qui est au-delà de la mort, non pas seulement en vous-mêmes, mais bien sûr en chaque être également.

 

Vous réalisez la vérité de ce que le bouddhisme appelle parfois le « sans-mort », l’immortel, ce qui est au-delà de la mort. J’aime ces termes bouddhiques, parce qu’ils nient simplement le monde de la forme sans donner aucune forme à laquelle croire. Ce n’est bien sûr pas aussi inspirant que ce que disait Jésus : « La vie éternelle ». Cela évoque la même chose. Le risque avec l’expression « la vie éternelle » est que vous pouvez la prendre à contresens, vous mettre à y croire comme s’il s’agissait d’un événement futur et de la vie qui se prolonge à l’infini.

 

« Éternel » ne signifie évidemment pas « qui se prolonge à l’infini ». Ce serait horrible ! Même le paradis deviendrait horrible : « Il y a combien d’années que tu es ici ? » « Heu, 58300 ans ! » Bien sûr, « Éternel » veut dire « intemporel ». Le temps n’est plus concerné. La nature de la dimension sans forme en vous est au-delà du temps. Dans ce sens, elle est éternelle. Donc, la « vie éternelle » peut être prise à contresens et elle l’a été bien sûr.

 

Il est plus difficile de mal interpréter le terme bouddhique, le « sans-mort », l’immortel, qui évoque la même chose ou non-chose, ou d’en faire une croyance : « Je crois en la vie éternelle », OK ! « Je crois en l’immortel » ou mieux encore – un autre terme bouddhique – « je crois au vide ». Ce n’est pas très inspirant, n’est-ce pas ?

 

À nouveau, vous pouvez facilement mal interpréter le Royaume des Cieux qui évoque la même chose ou non-chose, mais c’est plus inspirant : « Oh, le Royaume des Cieux ! Quand est-ce qu’il arrivera ? ». On pose cette question depuis deux mille ans : « Quand arrivera-t-il ? ». C’est même précisé dans le Nouveau-Testament. L’enseignement de Jésus a été déformé de nombreuses façons, mais il dit très clairement : « Le Royaume des Cieux ne vient pas avec des signes à observer ». C’est dit clairement. Et il ajoute ensuite : « Vous ne pouvez pas dire « C’est ici ! Regarde, c’est là ! ». Il l’a déjà dit et depuis deux mille ans, on pense qu’il va venir avec des signes à observer. Donc, il a donné une chose inspirante, le Royaume des Cieux, et en même temps un avertissement qui dit que cela ne viendra pas comme si ce serait ici ou là. C’est en vous-mêmes. « En vérité, je vous le dis ». En disant cela, il vous invite à écouter.

 

Si 10 % de votre vie, pour le dire ainsi… – En fait, on ne peut pas déterminer ça, mais disons que si la présence sans forme occupait 10 % de votre vie, ça serait déjà une amélioration prodigieuse de la qualité de votre expérience de la vie. Mais davantage serait encore mieux. Si cela peut être moitié moitié, c’est une chose excellente ! La moitié de votre temps de veille est passé alors à être simplement présents, à être la présence sans forme plutôt que la personne.

 

Et puis, petit à petit, ce qui pourrait aussi arriver, il n’y a plus nécessairement une séparation absolue entre la présence sans forme et l’identification à la forme, à savoir le fait de vous perdre complètement dans l’identification avec les pensées, dans la réaction, etc. Ce qui arrive, c’est que les deux se passent en même temps de sorte que même quand vous pensez, il y a toujours un espace dans et entre vos pensées, ce qui vous permet de ne pas vous identifier à chaque pensée qui surgit. Vous pouvez continuer d’être l’espace même pendant que vous pensez. Donc, les pensées sont entrecoupées d’espace.

 

Supposons que chacun des doigts de ma main est une pensée. Avant, les pensées se succédaient sans interruption. . . Là, il n’y a pas du tout d’espace : « Y a ça ! Qu’en est-il de ça ? Oui, mais l’autre a dit…, Et qu’est-ce qui va se passer demain ? Ah, ce qu’il m’a dit, je n’oublierai jamais ça ! Jamais, je ne lui pardonnerai ! . . . . « . Et tout à coup, vous avez ceci ! À nouveau, oui, vous avez toujours ces pensées, mais vous avez un espace qui les sépare, pour ainsi dire. Et à partir de cet espace, vous pouvez être conscients du genre de pensées qui surviennent.

 

Donc, vous demeurez principalement enracinés dans l’espace, dans le sans-forme, bien que les pensées surgissent. Et il peut même arriver que des vieilles pensées reviennent – des vieux schémas – parce qu’ils ont été là depuis 20, 30, 40 ans. Certaines pensées que vous avez eues toutes ces nombreuses années surgissent toujours, habituellement, mais il y a un changement : elles ne vous possèdent plus complètement. Elles ne vous attirent plus complètement et peu à peu, elles perdent le pouvoir de vous rendre malheureux, parce que la tristesse, c’est… – L’existence quotidienne de beaucoup de gens est en fait constituée de l’identification avec les pensées qui leur disent quelque chose et elle se réduit à cela. Et ces pensées vous rendent très malheureux.

 

Perdre votre travail ne peut pas vous rendre malheureux, mais si vous vous mettez à y penser, comme c’est horrible ! Toutes sortes de jugements se présentent : l’absurdité de toute votre vie, l’absurdité des trente dernières années, le non-sens de tout ça, la probabilité que vous ne trouviez plus de travail, et si vous trouvez du travail, vous allez gagner moins qu’avant et vous ne pourrez certainement pas rembourser votre emprunt… Cela vous rend malheureux !

 

Mais la perte du travail est la perte du travail, et vous êtes ici. Vous pouvez agir, s’il y a une possibilité, voir s’il se trouve un autre travail. Et tandis que vous passez à l’action, vous pouvez être spacieux et présents. Il n’y a pas de tristesse dans le fait de perdre votre travail, elle se trouve dans ce que vous en pensez et dans l’identité que vous vous en faites, une identité très désagréable.

 

Quand vous avez un superbe travail, que tout va bien, que vous venez de toucher votre prime, si vous travaillez à Wall Street, que vous venez de toucher votre prime annuelle de dix millions de dollars, parce que vous avez vendu beaucoup de ces choses que je ne peux pas prononcer, qui vont d’ailleurs s’effondrer d’ici deux ans, mais ça n’a pas d’importance… Vous les avez vendus et votre identification à la forme semble pour un temps vous satisfaire… jusqu’à ce que cela devienne incertain, ce qui arrivera, tôt ou tard, comme pour toute forme. Soit l’entreprise s’effondrera, soit toute l’économie s’effondrera, soit vous vous effondrerez.

 

Et l’identification à la forme est alors peu satisfaisante et devient la source du malheur. Mais la chose étonnante est de voir que ce qui vous rend malheureux, ce sont vos interprétations mentales. Beaucoup de philosophes l’ont dit. C’est souvent mentionné dans la philosophie ancienne. Ils avaient déjà vu cette vérité : le chagrin se trouve dans vos jugements mentaux ou interprétations mentales et non pas dans la situation. Se rendre compte de cela est grandement libérateur.

 

Vous permettez donc à la situation d’être telle qu’elle est, vous allez profondément dans le moment présent où il n’y a pas de problèmes et vous vous connectez à ce que j’appelle parfois l’intelligence non conceptuelle, ce qui veut dire l’intelligence sans forme, qui ne peut être mesurée avec les tests de QI. Il n’existe pas de tests de QI qui puissent mesurer votre intelligence sans forme. Les tests de QI mesurent la façon dont vous pouvez agir sur certaines formes visuelles ou conceptuelles.

 

Et cette intelligence offre aussi souvent de nouvelles idées et compréhensions. Donc, au lieu de vous embarquer dans l’activité mentale et de lui permettre de vous rendre malheureux – restons avec la perte de votre travail – au lieu d’aller là pendant plusieurs années ou le reste de votre vie, en pensant que tout cela est terriblement injuste… – Et vous êtes alors en colère. Si vous croyez en Dieu, vous êtes en colère contre Dieu. Si vous ne croyez pas en Dieu, vous êtes en colère contre tout le monde ou la vie en général. Vous devenez amers, cyniques, durs, et vous savez à quel point tout est horrible. Votre mental est plein de connaissances, de réponses. Vous êtes emprisonnés dans la forme sans même le savoir, très malheureux.

 

Donc, allez dans le moment présent. Permettez à ce moment d’être tel qu’il est. Et si des pensées surgissent encore : « Je suis un raté. Mes trente dernières années ont été inutiles ». C’est une pensée. Mais après la pensée, vous avez un espace. Dans cet espace, vous n’êtes pas du tout un raté. Vous êtes conscients, la présence, vivants… bienheureux, pourrait-on pratiquement dire. Indubitablement, vous n’êtes pas un raté ici. Vous n’êtes un raté que dans la pensée.

 

Puis arrive la pensée suivante : « De quoi est-ce que je vais vivre ? ». OK ! Et vous pourriez la suivre pendant une, deux, trois ou cinq minutes, mais non pas pendant des jours et des semaines. À nouveau, il y a donc l’espace. Maintenant, vous vivez, n’est-ce pas ? Maintenant, vous respirez. Et peut-être avez-vous-même suffisamment de quoi manger, même si ce ne sont que des haricots à la sauce tomate, ce dont je me suis nourri pendant quelques années. C’était en Angleterre. Des haricots à la sauce tomate de Heinz. Maintenant, ça aurait pu être très triste si j’avais eu cette pensée et en y croyant : « À mon âge (à savoir dans la trentaine), vivre encore de haricots à la sauce tomate ! Et regarde un peu les gens qui étaient à l’université avec moi, ils roulent maintenant en BMW ! ».

 

Mais en fait, je n’avais plus de pensées de ce genre. J’avais cette chance. J’étais donc très content d’avoir des haricots, tout comme je suis content maintenant de ne pas en manger et de manger autre chose. Voilà à quoi j’ai été réduit, aux haricots à la sauce tomate ! Ensuite, il y a l’espace : est-ce si terrible ? Non, c’est très bien ! Ça n’est même pas si mauvais que ça. Il y a de la vie que je peux sentir là et ça n’a rien à voir avec les beg beans.

 

Donc, les pensées sont entrecoupées d’espace, perdent le pouvoir de vous rendre malheureux, et peu à peu, même les vieux schémas mentaux disparaissent, ces vieux jugements sur vous-mêmes, sur les autres gens dans votre vie, ce qu’ils vous ont fait… Des choses qui peuvent être très puissantes, qui demeurent en vous avec une charge émotionnelle colossale peuvent être si puissantes qu’à la seule pensée d’une personne particulière dans votre tête, tout votre état de conscience peut être transformé. Votre ex-conjoint ou votre premier conjoint, votre deuxième femme : « Ce qu’elle m’a fait… Ce qu’il a fait… ».

 

Une seule pensée peut vous attirer… Et à nouveau, si vous avez en vous un noeud fait de vieilles émotions intenses, le corps de souffrance comme je l’appelle, la présence est nécessaire pour permettre à l’émotion d’être là, mais encore entourée de conscience. C’est une aide que d’être assis ici en étant continuellement dirigé sur cette dimension intérieure de sorte que, quand les gros défis se présentent, la présence ou l’espace en vous soit suffisant et qu’il ne soit pas complètement confus.

 

Ensuite, même au moment où vous pouvez ressentir une ancienne émotion forte, vous pouvez vous dire : « Oh, elle est là ! Puis-je lui permettre d’être comme elle est, l’orage en moi ? ». Oui, vous pouvez permettre à l’orage extérieur d’être et vous pouvez complètement permettre à l’orage intérieur d’être. Il y a alors l’espace autour. Vous pouvez sentir cette colère toujours là, mais vous détachez la colère des pensées de sorte que vos pensées n’alimentent pas la colère. Simplement, vous sentez la colère désormais et il y a donc de l’espace autour, de la conscience autour. Et cela se transforme alors petit à petit.

 

Donc, vivre de façon spacieuse. Oui, parfois, vous connaîtrez la pure présence dans votre vie et c’est magnifique quand cela arrive. Ces moments dureront progressivement plus longtemps. La pure présence en étant avec un autre être humain ; l’aptitude à écouter dans la pure présence ; l’aptitude à regarder dans la pure présence, sans jugements, sans concepts, donc en ne sachant pas… – L’endroit même dont parlait Socrate. L’endroit de la présence est l’état de non-savoir en étant bien sans savoir et sans juger.

 

Et c’est une chose magnifique si vous pouvez le faire avec d’autres êtres humains, quand vous êtes avec eux, quand vous les rencontrez. Vous n’avez pas besoin de les juger, ni de les interpréter. La même chose avec les situations qui se présentent dans votre vie. Vous n’avez pas besoin de les juger, ni de les interpréter. Elles sont ce qu’elles sont dans l’instant. Ensuite, si une action est possible, à partir de cette intelligence plus profonde qui se révèle immédiatement quand vous acceptez le moment présent, l’action survient. Si aucune action n’est possible, il y a simplement un arrière-plan de paix dans cette situation intérieure même qui peut être difficile ou désagréable.

 

Tout d’abord, des moments de pure présence, c’est déjà magnifique ! Quand vous n’êtes pas contrariés, en contemplant un objet, une fleur, le reflet de la lampe sur la table, les gens qui vous entourent, les formes de vie, toutes les formes de vie temporaires comme les nuages… Les nuages ne durent pas longtemps dans leur forme du moment. Cinq minutes plus tard, vous ne les reconnaissez pas ou ils se fondent en autre chose. Avec les humains, cela dure un peu plus longtemps, quelques années. Vous ne les reconnaissez plus alors. Ensuite, ils ne sont plus. Il y a donc continuellement des formes temporaires et il n’y a pas à redouter que les formes se dissolvent continuellement. Il y a quelque chose qui pénètre ce monde de la forme qui est éternel et intemporel. Vous pouvez l’appeler la vie elle-même, la conscience, Dieu.

 

On pourrait donc dire que vous avez trois états de conscience. C’est juste une façon de dire les choses. Il ne s’agit pas d’une vérité absolue ici. C’est une façon de voir, rien de plus ! Trois états de conscience. L’un est l’état d’ignorance, où vous êtes complètement identifiés avec chaque pensée qui émerge. Ensuite, l’espace commence à arriver dans votre vie et vous avez les pensées entrecoupées d’espaces. En d’autres termes, la conscience est présente ou la conscience est ressentie à l’arrière-plan de votre vie, même pendant que le penser se produit, même pendant que toutes les pensées surgissent.

 

Mais la nature de votre penser commence déjà à changer, parce qu’un penser très dysfonctionnel commence à changer quand il y a une conscience. Le penser dysfonctionnel, c’est le penser qui crée des problèmes imaginaires. Il vous rend malheureux et rend les autres malheureux. Si votre penser vous rend malheureux, vous pouvez être presque sûrs que vous rendez les gens autour de vous également malheureux. Et ils se le font aussi et vous le font aussi. C’est ce qu’on appelle des relations normales.

 

Vous avez donc l’identification complète avec les pensées, l’état d’ignorance. Vous avez les pensées entrecoupées d’espace ou de conscience et une impression continue de conscience à l’arrière-plan même pendant que votre mental fait ce qu’il fait. Et vous avez ensuite le troisième état : des espaces de pure présence quand il n’y a pratiquement pas de pensées ou que des bribes de pensées qui apparaissent comme des flocons de nuage . . . Et se dissolvent. Mais la plupart du temps, c’est comme un grand ciel bleu. De temps en temps, un nuage cotonneux apparaît soudainement dans le ciel bleu . . . et se dissout… et encore un autre petit et se dissout. Mais en général, le ciel est clair.

 

Et c’est énorme ! Quand cela arrive dans votre vie, c’est… eh bien, la libération ; c’est le salut ; c’est l’éveil. C’est… Vous êtes libres ! Parfois, les gens me demandent : « Est-ce quelque chose que nous pouvons faire arriver ou est-ce quelque chose qu’il nous suffit d’espérer pour que cela arrive ? » Cela n’arrivera pas ! Cela arrive maintenant. « Arriver » n’est même pas le bon mot, parce que « arriver » est quelque chose qui a à voir avec le monde de la forme. La forme survient, se dissout ou affecte une autre forme.

 

Vous pouvez certainement l’inviter. Disons-le comme ça. Vous pouvez inviter la présence dans votre vie. À nouveau, je vous ai donné l’exemple de vous-mêmes assis ici avant que nous commencions et moi assis dans le salon des artistes. Maintenant, je ne sais pas si vous étiez assis ici principalement en tant que présence, que présence incarnée – certains d’entre vous probablement et d’autres peut-être davantage en tant que personne avec des pensées, des jugements, des préoccupations, des sympathies, des antipathies, toutes sortes de choses… Une personne normale. Et j’étais assis dans le salon des artistes. Maintenant, est-ce que j’étais une personne ou la présence ?

 

Alors, imaginez une personne assise dans le salon des artistes, pensant : « De quoi est-ce que je vais parler ? Qu’est-ce qu’ils attendent ? Il faut que je parle à nouveau pendant une heure et demie, par exemple. Est-ce que ça va marcher ? Est-ce que cela sera inspirant ? Est-ce que l’inspiration sera là ? Je suis censé être un grand enseignant spirituel. C’est ce que les gens attendent de moi. Il faut que je sois à la hauteur.. Si ce n’est pas le cas, toute la chose ne marchera plus et ils ne m’aimeront plus. Cela serait une personne pensant : « Est-ce que je peux être à la hauteur de ce qu’ils attendent de moi ? ». Ce serait un état horrible que d’avoir à être assis là dans ces conditions . . . Et ça ne marcherait pas, ce serait horrible.

 

Donc, il n’y a pas d’autre choix que d’être assis là en tant que simple présence consciente. Et pour cela, aucune pensée n’est nécessaire. Je n’ai rien besoin de savoir à l’avance. J’ai besoin de me sentir bien en ne sachant pas. Socrate à nouveau. J’ai besoin de me sentir bien avec cet endroit sans pensées . . et c’est merveilleusement agréable. Et l’on est une simple présence et non pas un enseignant spirituel. On ne peut pas être un enseignant spirituel en pensant à soi en tant qu’enseignant spirituel. C’est seulement quand vous connaissez votre état essentiel sans forme que l’enseignement peut éventuellement venir à travers vous dans le monde de la forme et des pensées inspirées peuvent jaillir de l’espace sans pensées. Et c’est un espace merveilleux où être et il n’y a là aucune peur, parce qu’il n’y a que cela.

 

Il y a les perceptions sensorielles, mais elles ne sont pas significatives. Oui, il y a le salon, il y a ceci, il y a cela, et il y a là une conscience intense, un champ de conscience. Il n’y a pas de personne. Il y a simplement un champ de conscience. Il n’y a plus d’identité conceptuelle, juste une présence consciente. Et c’est un état puissant, merveilleux que je recommande vivement.

 

Et quelles que soient les formes que vous avez dans votre vie, parce que vous interagissez avec le monde de la forme, ici à l’extérieur, si vous incarnez de plus en plus cette présence consciente au lieu de vous présenter en tant que petite personne, vous verrez que cela fait une différence énorme, l’effet que vous produisez sur le monde autour de vous, non pas vous en tant que personne, mais le pouvoir qui s’écoule à travers vous dans ce monde de la forme et qui transforme alors même le monde de la forme. Cela ne veut pas dire que les formes seront permanentes. Non, il reste que toutes les formes sont temporaires, se dissolvent, vont et viennent. Cela ne rend pas les formes satisfaisantes. Il n’y a pas de satisfaction ultime dans aucune forme de votre vie, dans aucune forme-pensée, dans aucune forme physique. Vous ne pouvez obtenir satisfaction de la forme, ni même ne le recherchez, parce que la satisfaction est déjà dans la présence, dans votre présence même. Elle est satisfaisante.

 

Et alors, comme je le dis parfois, le monde de la forme est tout à coup satisfaisant, mais seulement parce que vous ne recherchez pas la satisfaction dans les formes. Elle est déjà en vous comme dans l’être que vous êtes. C’est la satisfaction. C’est ce qui est satisfaisant. Et les formes sont alors vraiment agréables, chaque forme. Vous n’avez pas nécessairement besoin de posséder certaines formes. Vous le pouvez, mais ce n’est pas un besoin.

 

Vous pouvez apprécier ceci ou cela sans le besoin de dire « c’est à moi ». Mais une fois ou l’autre, vous pouvez avoir envie d’acheter quelque chose – ce n’est pas un problème – en sachant bien sûr que, finalement, soit la chose s’abîme, soit votre corps lâche avant elle. Vous pouvez aussi vous la faire voler, la laisser tomber ou la donner. Mais vous appréciez les choses autour de vous. On peut aussi vous donner quelque chose, le temps qu’elle dure.

 

Tout le sens de la propriété change également. Le ressenti « le mien, la mienne », « c’est à moi » change et en fait, cela ne vous vient plus. Vous pouvez avoir quelque chose, apprécier sa présence ici – un objet – mais ce sentiment d’y être attaché et de chercher . . sans pouvoir lâcher prise . . Cela n’est plus là. Vous pouvez donc apprécier des choses sans les envisager en quelque sorte pour ressentir le soi, une sorte d’accomplissement de soi, de référence à soi-même (moi, le mien, la mienne).

 

C’est donc naturel que vous continuiez à acheter des choses à l’occasion, mais vous accumulerez probablement moins de choses que dans l’état d’ignorance où vous recherchiez pour une part de la satisfaction dans l’accumulation des choses. Pour d’autres personnes, ce sera à travers autre chose, mais ils s’intéresseront à une certaine dimension de la forme.

 

Donc, vivre avec quelque chose et simplement en prendre soin. Comme on le dit dans une pub pour une montre très coûteuse : « En réalité, vous ne possédez jamais cette montre ». Le sous-entendu est qu’elle vous survivra. « En réalité, vous ne la possédez jamais. Vous en prenez simplement soin pour la prochaine génération ». C’est le slogan. Mais j’aime surtout la première partie, parce que la prochaine génération ne la possédera pas non plus et elle peut même se casser bien avant. Mais « En réalité, vous ne possédez jamais cette montre », il y a comme un peu de vérité spirituelle ici.

 

Souvent, vous ne savez pas s’il y avait de l’attachement jusqu’à ce que vous la perdiez, parce qu’il est facile de vous duper vous-même en déclarant : « Je ne suis plus attaché à rien dans ma vie ». Et puis quelqu’un raye votre voiture ou elle n’est plus là quand vous arrivez au parking. C’est là le moment de vérité. Cela vous dit si vous étiez attachés ou non.

 

C’est donc une nouvelle façon de vivre. Tout le but de votre existence sur cette planète sous cette forme, forme temporaire, c’est la venue à travers vous de cette conscience. En d’autres termes, Le but de l’évolution est l’éveil. Je sais cela par moi-même. Pour beaucoup de réponses universelles, il vous suffit de vous examiner vous-mêmes pour voir… – Vous connaissez le but de la souffrance en revenant sur votre propre souffrance. Quel est le rôle de la souffrance dans l’existence humaine ? Examinez simplement votre propre vie et voyez où vous a amené votre propre souffrance passée, etc. Pour les questions universelles, si vous regardez profondément à l’intérieur, vous pouvez trouver les réponses en vous.

 

L’univers est donc en train de s’éveiller. Il s’éveille ici, où nous sommes sous la forme humaine qui n’est pas séparée de toutes les autres formes de vie. Il s’éveille ici. Où est-ce que tout cela mène ? Je ne sais pas. On ne peut pas comprendre cela. Ce serait absurde ! Ce serait comme une bactérie minuscule essayant de comprendre… – Disons une bactérie dans votre corps essayant de comprendre qui vous êtes. Vous ne le pouvez donc pas et vous n’en avez même pas besoin. Nous n’avons pas besoin d’une grande compréhension conceptuelle du but de l’univers. Tout ce dont nous avons besoin est l’éveil de la conscience et pour beaucoup de gens, beaucoup d’entre vous, la souffrance même les a motivés à venir ici.

 

Si vous n’aviez eu aucun problème et si toutes les formes dans votre vie avaient été absolument satisfaisantes, qu’auriez-vous voulu faire de l’éveil spirituel ? Quel est l’intérêt ? Appréciez simplement le prochain repas ! Appréciez vos cadeaux de Noël ! Appréciez la prochaine chose que vous allez acheter ! Appréciez le prochain rapport sexuel ! Appréciez le prochain plaisir sensoriel ! Appréciez la prochaine drogue, avalez tout ! La prochaine liaison, la surexcitation qu’elle procure ! Tout ça n’est-il pas formidable ? Bon, malheureusement, ça ne se passe pas tout à fait comme ça ! Il y a toujours un autre côté à tout plaisir et ce côté est très différent . . . Oh non, oh mon Dieu ! Je me sens malade !

 

C’est donc merveilleux si nous pouvons avoir de la gratitude pour ce qui est. Nous pouvons être reconnaissants même pour ce qui a été, votre passé qui vous a amenés jusqu’ici. Cela veut dire… – Bon, ça ressemble à une histoire de réussite. Si votre passé vous a amenés à l’éveil spirituel, oui, ça ressemble à une énorme réussite. Et vous pouvez avoir perdu votre travail. Vous pouvez ne pas avoir fait la bonne chose. Peut-être que vous avez fait une erreur après l’autre, certains d’entre vous, ou beaucoup d’erreurs, un mauvais choix et un autre mauvais choix. « Pourquoi est-ce que je me suis mis avec cette personne ? C’est une erreur affreuse !! Je n’aurais jamais dû prendre ce travail. Ça aussi c’était une erreur ! Pourquoi est-ce que j’ai fait ça pendant 10 ans ? C’était complètement inutile ».

 

OK, mais tout à coup, tout ce qui n’avait pas de sens apparaît rétrospectivement comme ayant beaucoup de sens puisque cela vous a amenés à . . . Donc, le chaos de votre passé… – J’en parle, parce que mon passé est un peu comme ça : une erreur après l’autre, un échec et un autre échec. Jusqu’à l’âge de 50 ans, pratiquement, un raté, aux yeux du monde, et subitement, le succès . . . Mais il n’y avait évidemment pas de raté et je ne l’ai pas vécu ainsi. J’ai été un raté jusqu’à l’âge de 29 ans avant que l’éveil se produise. C’était une chose horrible.

 

Mais après, il n’y avait pas d’identité conceptuelle en particulier et chaque moment présent était au fond excellent. Sans porter le poids d’une identité conceptuelle, le moment présent est en réalité OK. Il peut y avoir de la gêne, parfois, mais c’est OK, c’est ainsi. C’est au fond toujours OK.

 

Pendant un temps, quand j’ai vécu l’éveil, je vivais dans une chambre meublée, une pièce où l’on cuisine, dort et s’assoit1. Elle est sans salle de bains et il y a donc une salle de bains à partagés avec les locataires d’autres chambres meublées. Les toilettes devaient être partagées entre 6 autres locataires et parfois, le matin, il fallait s’organiser pour pouvoir aller aux toilettes et c’était juste ce qui était. Oui, il y avait là quelque chose d’un peu gênant qui aboutissait parfois à la constipation, mais bon ! Et c’était rudimentaire. Il n’y avait qu’un petit réchaud à deux feux et l’on ne pouvait pas faire beaucoup de cuisine, mais ça allait pour les haricots à la sauce tomate.

 

Donc, le moment présent était principalement excellent. Oui, il y aurait pu avoir plus de confort, oui, mais au fond, c’était bien. Il y avait la vie, la beauté dehors. Il y avait le ciel, les arbres, quelques plantes vertes. Il y avait la ville, les promenades dans la ville, la vie ; excellent ! Sans le poids d’une identité conceptuelle, sans le moi avec ses problèmes, son passé et son futur, tout est au fond parfait ! Mais ça aurait pu être horrible. Et avant que survienne l’éveil, c’était très désagréable, vraiment horrible.

 

Donc, allez dans le moment présent. Et parfois, des gens me demandent : « Que dirais-tu à une personne qui meurt vraiment de faim, qui n’a pas suffisamment de nourriture ? » OK, je ne sais pas. Je n’ai jamais été affamé, parce que j’avais toujours des haricots à la sauce tomate et du pain, des toats, des haricots sur des toasts. Donc, vous pouvez avoir toutes sortes de situations hypothétiques. Oui, il y a des gens qui meurent de faim. C’est aussi un fait qu’il y a dans certains pays du tiers monde des gens qui ont très peu de choses ou qui luttent pour survivre. Chaque être humain rencontre ses propres défis, et a son propre chemin. Et chaque être humain n’est qu’un aspect fragmentaire de l’ensemble de l’éveil humain. Il n’y a pas de réalité séparée absolue pour tout être humain. Tout être humain est une manifestation temporaire dans la forme de cette conscience intemporelle qui s’éveille ici.

 

Donc, on considère un être humain et déclare : « Oh, la vie de cette personne est vraiment terrible ! ». Chaque humain est une cellule de la totalité et chaque cellule suit son propre chemin particulier d’éveil. J’ai vu des gens dans certains pays du tiers monde qui ont l’air complètement en paix, en train de mendier assis au bord de la route. Pas tous, mais certains d’entre eux semblaient plus paisibles que les riches touristes qui passaient par là. En Inde, parfois, des gens qui n’ont qu’une jambe, assis au bord de la route et qui sont là . . . tout à fait paisibles . . « Merci ! ».

 

Donc, pour certains d’entre eux, cette transformation s’est aussi produite alors qu’ils n’ont peut-être jamais entendu parler de spiritualité. Ils ne sont jamais allés écouter une conférence spirituelle ; ils n’ont jamais lu de livres spirituels. Ce n’était pas leur chemin, mais leur chemin était autre chose. Et par la nature très peu satisfaisante des formes qui les entouraient, certains d’entre eux ont miraculeusement réalisé ce qui est au-delà de la forme. Beaucoup d’entre eux ne pourraient pas y mettre des mots. Ils sont simplement en paix et présents, et ils vous regardent.

 

Et certains d’entre eux – en particulier dans un endroit comme l’Inde qui a une tradition spirituelle qui remonte à des millénaires – certains d’entre eux sont devenus des gourous ou des enseignants spirituels qu’ils s’expriment ou non. On n’est pas obligé de parler, on peut simplement s’asseoir là et les gens voient la présence et donnent de la nourriture. Ensuite, davantage de gens s’assoient autour d’eux, les regardent en essayant de recevoir un peu de leur présence et ensuite, petit à petit, avant qu’on s’en rende compte, il y a un ashram autour d’une personne qui n’a pas d’identité conceptuelle, simplement une pure présence. C’est magnifique.

 

En occident, ça ne marche pas comme ça. C’est très différent. Il y a donc de très nombreuses manières dont l’éveil se produit sur cette planète. Et il n’y a qu’une conscience. Il n’y a que l’unique qui se manifeste en tant que le multiple, l’unique intemporel non manifesté qui arrive à travers cette dimension et qui s’y manifeste. Qui sait où tout cela mène ? Nous n’avons pas besoin de le savoir, mais c’est un processus magnifique. Vous vous éveillez de l’univers, dans cette dimension. Dans la dimension intemporelle, c’est déjà éveillé ! Parce que tout est déjà arrivé ou tout arrive continuellement en tant que l’unique. Ce n’est qu’en ce monde que nous sommes confrontés au monde différencié de la forme qui semble impliquer le passé, le futur et l’évolution.

 

Donc, vous vous libérez petit à petit ou subitement de ce fardeau horrible du fait de porter une identité conceptuelle en ne connaissant rien d’autre. Et arrive le temps où vous utilisez aussi peu que possible votre identité conceptuelle dans la vie quotidienne. C’est l’état plus avancé. Autrement dit, quand les gens vous posent des questions sur vous-mêmes, vous pouvez toujours répondre. Vous pouvez dire où vous habitez, ce que vous faites pour gagner votre vie… Quand on me demande ce que je fais pour gagner ma vie, je ne dis pas : « Je suis l’unique sans forme, incarné… ». Cela embrouille les gens. Donc, vous restez simples : « Je suis écrivain ». « OH, OK, qu’est-ce que vous écrivez ? » « Sur la spiritualité ». « Oh, OK ! »

 

Et vous pouvez donc dire d’où vous êtes, où vous avez vécu, etc. C’est parfait. Ce sont vos représentations. « Qu’en est-il de vos parents ? D’où sont-ils ? » « OK, c’est… Vous pouvez utiliser l’identité conceptuelle quand c’est nécessaire sans croire qu’elle est terriblement importante. Et quand vous êtes seuls, vous n’avez certainement pas besoin de vous y référer pour vous dire qui vous êtes. Vous n’avez pas besoin des représentations pour vous dire qui vous êtes. Vous êtes la vie, vous êtes la conscience. Vous ne le savez pas de façon conceptuelle, vous le savez de façon directe, immédiate. Les nationalités et toutes ces choses, les identités collectives. Oui, si l’on vous demande, « c’est moi, je suis de telle nationalité », mais ce n’est pas ce que vous êtes en réalité. La race également, ce n’est qu’une apparence physique.



22/05/2014
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