Eckhart Tolle « Le Cinéma »

Le grand art consiste bien sûr à demeurer silencieux tout en parlant. Comment est-ce possible ? Cela semble paradoxal. On pourrait dire qu’il s’agit d’avoir, de sentir un état d’espace intérieur même quand des paroles sont formulées mentalement et sortent de la bouche sans perdre le contact avec cette dimension d’espace ou de silence à l’intérieur.

 

Autrement, soit vous êtes silencieux, tant qu’aucun bruit réel ou métaphorique ne vous provoque, soit vous vous perdez dans le penser et dans le faire. Et vous vous dites alors : « Il faut que je médite maintenant ». En méditant, vous avez au moins le silence, mais l’art de vivre consiste à réunir les deux, l’espace et la forme, pourrait-on dire, ou le sans-forme et la forme. La forme, ce sont les pensées, le faire dans le monde de la forme, et la dimension du sans-forme, c’est l’être, la conscience elle-même, la lumière de la conscience, l’état spacieux.

 

On peut mentionner autre chose pour le décrire, pour se diriger vers la dimension de l’état spacieux à l’arrière-plan de sa vie. Cela vous libère de l’identification exclusive au petit moi qui est la personne. Il n’y a que le sentiment personnel de soi, rien d’autre. C’est une condition horrible. C’est comme une prison étroite. Cela vous libère donc de l’emprisonnement dans la forme, dans la forme psychologique. C’est la raison pour laquelle on parle parfois de libération. On dit même le salut.

 

Bien sûr, on pourrait l’appeler encore la transcendance, la dimension transcendante de la vie. C’est l’essence même de ce qui est parfois appelé spiritualité. Cela n’a rien à voir avec des systèmes de croyances, ni avec certaines pensées. Aucune pensée n’est en soi spirituelle, parce que c’est de la forme. La dimension spirituelle est le sans-forme, mais il n’y a pas de séparation ultime entre la forme et le sans-forme, parce que même la forme est en essence spacieuse. Elle apparaît seulement comme forme, mais laissons cela de côté. Ne compliquons pas les choses.

 

Ne soyez donc pas dépendant du silence extérieur pour être en silence. Cela serait difficile : « J’ai besoin du silence pour être en silence. Vous pouvez être en silence quoi qu’il se passe à l’extérieur. J’en parle souvent, c’est un état de conscience non réactionnel.

La dimension transcendante. Sentez-la juste maintenant. Il y a un ou deux ans, j’ai donné une conférence à Los Angeles au sujet de la dimension transcendante dans le divertissement, en particulier le cinéma, et des possibilités d’amener cette dimension dans ce qui n’est, dans de nombreux cas, rien de plus qu’une perpétuation de l’inconscience habituelle, comme dans le cinéma notamment. Dans de nombreux cas, il perpétue simplement l’ignorance comme état de conscience, non pas l’ignorance en tant que manque de connaissances.

 

Vous pouvez être totalement ignorants même en ayant énormément de connaissances. Ignorant veut dire que vous méconnaissez complètement qui vous êtes au-delà de la forme, que vous êtes complètement piégés dans la forme. Autrement dit, vous ne savez pas qui vous êtes. La personne ne sait pas qui elle est et le collectif est perdu également, bien sûr, parce qu’il est constitué de millions de personnes qui ne savent pas qui elles sont. Les nations font alors des choses horribles, parce que tout est fondé sur des systèmes délirants.

 

Tout le monde consomme de ce qu’on appelle le divertissement, le cinéma par exemple, et il y a là largement de quoi faire pour amener la dimension transcendante dans la conscience des gens, même des humains qui ne sont pas encore vraiment ouverts à cela. En son for intérieur, tout un chacun y aspire.

 

J’aimerais donc parler un peu aujourd’hui, à la demande générale, de la dimension transcendante dans les films et, plutôt que de déplorer que la plupart des films soient horribles – je pourrais passer une à deux heures à en parler – j’aimerais me concentrer sur ce que je vois déjà émerger dans un nombre de films encore minoritaires. La dimension transcendante apparaît déjà de différentes manières.

 

Il ne s’agit peut-être pas seulement de se dire « Oh, il faut que je voie ce film », mais de voir plus clairement les diverses façons par lesquelles la dimension transcendante peut être reconnue dans sa vie quotidienne, parce que tout se recoupe. Les films concernent en réalité la vie humaine, ils la reflètent. Il y a donc différentes façons dont la dimension transcendante peut entrer dans votre vie. Elle le fait continuellement, mais elle doit être reconnue.

 

Donc, au niveau superficiel, je vais maintenant vous recommander quelques films. C’est pour cela que j’ai là un papier, pour me rappeler ce que je veux vous recommander. Et je choisis des films qui sont facilement accessibles, grand public pour la plupart, non pas des films cachés, réservés seulement… J’invite tout le monde à envoyer ses suggestions quand vous découvrez la dimension transcendante dans un film ou une oeuvre de divertissement populaire. S’il vous plaît, faites-le-nous savoir. Dites-nous comment et pourquoi vous voyez émerger la dimension transcendante dans telle oeuvre d’art visuelle particulière. Dites-nous ce que c’est pour que nous puissions la regarder ensemble.

 

Cela peut être utile à tout le monde de voir comment… Cherchez à voir la dimension transcendante. Je le fais toujours. Est-elle là ou non ? Dans la plupart des cas, elle n’est évidemment pas là. Vous pouvez toujours la trouver en vous-mêmes en regardant le film. Vous ressentez la présence-témoin. Il y a tous ces mouvements qui apparaissent et la présence consciente que je suis en est témoin. C’est la dimension transcendante qui n’est pas en réalité dans le film, mais elle est ici. Je n’ai en fait pas besoin de voir le film pour cela. C’est plus utile de regarder le mouvement des feuilles dans un arbre que de regarder les absurdités interprétées à l’écran, plus utile de regarder un oiseau sur une branche ou les nuages qui avancent dans le ciel.

 

J’ai vu, il y a quelques mois, et nous commençons ici avec le film dont tout le monde a parlé il y a un certain temps, Avatar, le plus gros succès sur le plan commercial de l’histoire du cinéma. Des millions de gens l’ont donc vu. Est-ce que la dimension transcendante s’y trouve ? Je l’ai vue se manifester là de deux manières. L’une est le sentiment que la nature, le monde autour de vous, l’ensemble de la réalité… Ce n’est pas formulé, mais il y a le sentiment sous-jacent que la nature baigne dans un champ d’intelligence.

 

L’intelligence ne se limite pas à la tête, à la tête humaine, mais on est entouré d’un champ d’intelligence. En d’autres termes, toute chose est un aspect de la conscience. Toute chose prend part à la conscience supérieure unique. Certains humains ne savent plus cela et d’autres y sont accordés. Dans ce film, il y a les humains occidentaux qui ne le connaissent plus et la civilisation extra-terrestre toujours en contact avec cette dimension.

 

Donc, bien que ce film soit très bruyant – j’aurais préféré qu’il soit plus silencieux – néanmoins, il amène à la conscience d’un grand public le sentiment du sacré de la nature, même aux gens qui ne sont peut-être pas encore vraiment prêts pour cela. C’est là. Ils peuvent ne pas être capables de formuler ce qu’ils ont vu, mais le film amène l’empathie pour toutes les formes vivantes, la possibilité de s’accorder de toute son attention avec le champ de vie autour de soi au lieu que le sentiment égoïque du soi déclare le monde autour de soi, le monde de la nature comme mort et se mette en colère contre toute suggestion de l’existence d’une intelligence supérieure à la petite intelligence dans sa tête.

 

Le film a donc une valeur transformationnelle puisque la dimension transcendante s’y trouve. L’autre façon dont elle se manifeste dans ce film particulier est également importante. En regardant un film, on s’identifie généralement aux personnages. On se projette donc dans un personnage, si ça marche. En quelque sorte, on vit à travers un personnage particulier. Et dans ce film, on est porté à s’identifier, on est invité à s’identifier, non pas à sa propre espèce, mais à la civilisation extra-terrestre.

 

Et c’est transcendant, cela mène à la dimension transcendante, parce qu’on est invité à laisser la conscience égoïque, l’ego collectif, l’identification à la forme collective du nous pour s’identifier à quelque chose qui est au-delà de la forme. Ce qui est au-delà de la forme se manifeste dans ce film à travers l’autre espèce davantage qu’à travers votre propre espèce. Il vous invite donc à la transcendance du soi sans même en parler, par le seul fait de le regarder. À un certain degré, pour certains à un faible degré, vous pouvez faire un peu l’expérience de la transcendance du soi. Je parle du soi collectif. Il y a le soi personnel et il y a le nous collectif. Vous transcendez cela. Et c’est un bond étonnant dans l’évolution qui est peut-être relativement récent.

 

Cela me rappelle un peu certains films d’il y a très longtemps. Ce sont de très vieux films qui remontent, je crois aux années 60 ou 70. Pour la première fois, c’était dans La planète des singes, vous étiez invités à vous identifier à d’autres espèces plus qu’à l’espèce humaine. Maintenant, il peut y avoir des spectateurs de ces films qui ne sont simplement pas encore capables de faire cela. Il y a certainement des spectateurs du film Avatar qui s’identifient à ce type militaire. C’est OK. Et évidemment, si vous vous identifiez au militaire, la fin n’est pas très bonne. Ce n’est pas une fin heureuse.

 

C’est donc merveilleux, parce que la transcendance du soi est un aspect essentiel de la dimension spirituelle. C’est par la transcendance du soi que la dimension spirituelle arrive dans votre vie. Et il y a maintenant de plus en plus de gens qui ne s’identifient pas automatiquement à leur pays. Ils reconnaissent que leur pays fait des choses horribles, démentes. Et ils ne disent pas…. Il y avait un dicton, je pense en Angleterre, je ne sais pas, il peut dater du XIXe siècle ou du début du XXe siècle : « Qu’il ait tort ou raison, c’est mon pays ». C’est bien sûr l’état de conscience égoïque : qu’importent les choses horribles que fait mon pays, c’est mon pays.

 

Nous avons évolué, nous évoluons, en dépit de ce que vous voyez au journal chaque soir, nous évoluons, doucement… En Allemagne, dans les années 30 et 40, il fallait avoir un degré de conscience très élevé pour ne pas s’identifier avec l’inconscience collective de la nation. Par choix conscient, quelques personnes se sont dites : « Je ne vais pas faire partie de ça ». Et ils sont partis. Ils furent très peu nombreux. Cela demandait une conscience énorme, parce que l’attraction du collectif était trop forte.

 

L’attraction du collectif aux États-Unis était toujours très forte dans les années 50 et elle s’est affaiblit considérablement dans les années 60 où des millions de gens se sont désidentifiés du collectif du fait d’un acte parfaitement collectif qui a été finalement reconnu comme démentiel : tout l’engagement au Vietnam. Les gens ont commencé à se désidentifier de l’ego collectif, de la forme. Cela se produit donc de plus en plus. Une régression est toujours possible. On le voit un peu aux États-Unis. L’évolution ne se poursuit pas comme ceci. Elle se fait en spirales.

 

Il se trouve au coeur de certains films une vérité que tout le monde connaît en son for intérieur et c’est ce qui explique, je crois, le gros succès de certains films. Il peut ne pas être aussi gros en apparence, mais il y a une vérité essentielle. Par exemple, dans le film Matrix, en particulier dans le premier volet, la vérité essentielle est « la vie est un rêve ». Vous déambulez tous comme des somnambules. Chez les humains, quelque chose répond à cela bien que cela ne se produise pas vraiment comme le film le décrit. Ce ne sont pas les machines qui ont créé le rêve pour nous, mais bien sûr, le rêve a été créé pour nous par le mental conditionné, par le mental humain totalement conditionné.

 

Le film vous invite donc à regarder les gens qui vont et viennent dans une grande ville et quelqu’un en voiture fait des commentaires : « Il n’y a en réalité que des somnambules. Ils rêvent ». C’est bien sûr un thème récurrent qu’on trouve également dans des oeuvres littéraires et poétiques anciennes, la nature onirique de l’existence humaine. Or, le rêve implique la possibilité de se réveiller, et bien sûr, ce film particulier en offre aussi la possibilité. Il s’agit de se réveiller du rêve. Indépendamment des détails dans le film qui ne décrivent pas la réalité – c’est une fiction – il y a une vérité plus profonde sous-jacente : vous êtes endormis, vous rêvez, mais vous pouvez vous réveiller. C’est la vérité que tout le monde connaît en son for intérieur et je crois que cela explique le succès de ce film, parce que le reste n’est que . . .

 

Il y a certains films qui désignent ou qui vous montrent le dysfonctionnement de l’existence humaine normale. Ils ne semblent pas avoir en eux-mêmes… Si l’on vous demande s’il y a une dimension transcendante dans ce film, une dimension spirituelle, vous pourriez répondre de prime abord : « Non, je ne la vois pas ». Or, il y a une manière indirecte par laquelle la dimension transcendante ou spirituelle peut arriver dans un film ou dans votre vie. C’est par la reconnaissance de ce qui est faux en vous, par exemple la reconnaissance de ce que votre mental vous fait au quotidien, la façon dont il vous rend malheureux. C’est devenir conscient du dysfonctionnement et il y a des films qui peuvent vous rendre conscients du dysfonctionnement collectif de l’humanité.

 

Par exemple, ils vous montrent la réalité de la guerre. Plutôt qu’une version idéalisée de la guerre, ils vous montrent ce qu’elle est vraiment et vous en voyez la folie. Ils ne disent pas que c’est fou. Le film n’a pas besoin… Qu’est-ce que serait alors un bon film ? Ce serait faire la morale. Non, il montre simplement la réalité. C’est par conséquent un acte créatif. Vous en arrivez à la compréhension, non pas à travers quelqu’un qui vous dit quelque chose, mais en regardant le film. Vous vous rendez compte de quelque chose. C’est beaucoup plus fort, plus vrai que si c’est quelqu’un qui vous dit que la guerre est de la folie. Ce n’est pas nécessaire.

 

Tout ce que vous avez à faire, quand la folie vous est véritablement présentée, qu’il s’agisse de votre propre mental en voyant ce qu’il vous a fait endurer les vingt dernières années, que ce n’était pas les autres, ni les circonstances – non, seul votre propre mental était en cause. Les circonstances ont toujours été comme elles étaient et sont toujours comme elles sont. 90 % de la souffrance, probablement 100 % est créée par votre mental. La compréhension du dysfonctionnement fait en soi partie de l’éveil.

 

C’est pourquoi je dis qu’il y a une dimension spirituelle dans ces films qui vous montrent le dysfonctionnement, soit le dysfonctionnement personnel, combien les humains demeurent insensés dans leur vie personnelle, soit le dysfonctionnement collectif, combien les humains peuvent se montrer insensés collectivement. Ce n’est pas montré dans le film directement, parce que ce que montrent tous les films, c’est la folie, mais ces films particuliers vous permettent de reconnaître la folie en tant que telle et non plus en tant que vie normale. Et ceci est l’acte spirituel.

 

Il y a eu un film intitulé… C’est un vieux film que je vous recommande chaudement si vous ne l’avez pas vu, intitulé Le Roi de Coeur, sorti dans les années 60, en 1966, je crois. Il s’agit d’un soldat britannique durant la première guerre mondiale, un homme très enfantin qui aime surtout les oiseaux, les choses simples. Il est envoyé dans une certaine ville en France, lors de la première guerre mondiale, qui a été désertée par ses habitants, à l’exception des pensionnaires de l’asile d’aliénés, de la clinique psychiatrique. Il entre donc en communication avec ces gens et les amène dans la ville déserte. Ils mettent alors leurs plus beaux habits, jouent leurs rôles, vivent des choses, et c’est magnifique.

 

Ensuite, les gens normaux reviennent. Les deux armées, les soldats reviennent et ils s’affrontent finalement. Il y a une ligne de soldats allemands et de l’autre côté, les anglais ou les français. Ils brandissent leurs armes et ils se tirent tous dessus . . . Des deux côtés, tous s’effondrent. C’est à la fois tragique et drôle. L’humour est un autre aspect. C’est une chose très subtile.

 

Est-ce possible d’avoir encore de l’humour en regardant cela ? Le film réussit à la fois à vous montrer la folie et à vous désidentifier, à reconnaître la folie en tant que telle en souriant même . . . « Ah, c’est absurde ! » Mais rien n’est dit, c’est juste montré. La fin est bien sûr merveilleuse. Les armées se retirent, les gens prétendus fous sont ramenés à la clinique psychiatrique et le soldat se retrouve là. Il lui faut maintenant décider s’il retourne dans son régiment et il décide finalement de rejoindre la clinique psychiatrique. Ce qui est sous-entendu, c’est qu’il y a là plus de bon sens que dans le monde extérieur. C’est une grande oeuvre d’art, un message très puissant.

 

Quelques films sur la guerre ont été tout aussi puissants. Il y a un livre célèbre d’un écrivain allemand, intitulé À l’ouest, rien de nouveau. Il a combattu pendant la première guerre mondiale, il était soldat durant la première guerre mondiale, et il en a fait un livre. Le livre a connu un succès mondial considérable et l’on en a fait un film en Allemagne. Il a dû alors quitter le pays, parce que tous les gens qui n’ont pu se désidentifier du collectif le traitèrent de traître. Là encore, le film et le livre… À propos, de nombreuses choses que je dis ici pourraient s’appliquer à la littérature, quand vous lisez. Donc, la transcendance du soi peut également se trouver là, mais nous parlons ici des films.

 

Les films contre la guerre ne se prononcent pas contre la guerre. Ils vous montrent la réalité de la guerre, c’est tout. Et cela suffit. Encore une fois, ces films sont indirectement spirituels. La reconnaissance de la folie est le premier acte de l’éveil, hors de la folie, parce que dès l’instant où vous reconnaissez la folie, que ce soit la vôtre, celle de l’autre ou du collectif, dès l’instant où vous la reconnaissez, une nouvelle dimension de conscience a émergé, la conscience, et cela fait partie de l’éveil.

 

Il y a pas mal de films qui montrent le dysfonctionnement au niveau personnel, il y en a beaucoup, mais la plupart ne vont jamais au-delà. Le dysfonctionnement, le conflit est résolu d’une manière ou d’une autre, mais il n’y a pas de croissance, de prise de conscience. Il y a un film que j’aime bien, intitulé Dérapages incontrôlés, et il met en scène deux automobilistes qui ont un petit accident de voiture sur l’autoroute. C’est juste un petit accident. Ils changent de voie et se télescopent.

 

Ils se parlent un bref instant, mais cet incident relativement insignifiant s’aggrave les jours suivants du fait de la réaction inconsciente et une folie extrême s’empare des deux automobilistes. La situation est complètement absurde et les choses ne cessent d’empirer. Ils essaient de s’entretuer. Tout a commencé à partir d’une petite chose et le film montre la nature de la réaction et ce qu’elle produit, sans même dire des choses à ce sujet.

 

Il y a simplement dans le film, de temps en temps, si vous regardez bien… Tandis qu’ils se comportent de façon insensée au premier plan, vous avez parfois à l’arrière-plan de petites allusions à la transcendance. Par exemple, il y a la folie dans ce qu’ils font au premier plan et à l’arrière-plan, vous voyez deux moines bouddhistes qui traversent la rue. Dans un autre film, vous voyez la croix chrétienne sur un mur alors que se déroule une scène complètement démente.

 

Ce sont là des moyens de transcendance, des possibilités. Et à la fin du film, ils sont capables d’aller au-delà de leur folie. C’est donc un film à voir, Dérapages Incontrôlés, il n’a pas eu un très gros succès. Le titre original est Changement de voie, qui a bien sûr un double sens. Il y a l’évocation de ce qui a provoqué l’accident au départ, mais le changement de voie, c’est aussi changer la voie du penser inconscient et sa vie, le transformer en conscience.

 

Vous avez peut-être remarqué que tous les films que vous voyez, si vous en considérez vraiment le fond, traitent d’un conflit sous une forme ou sous une autre. Admettons que vous alliez voir un film où il y a, disons un couple heureux d’être ensemble. Ils se lèvent le matin et se disent qu’ils s’aiment, l’un à l’autre : « Qu’est-ce qu’on va faire ce week-end ? Allons à la campagne. » « OK, super ! ». Ils font une randonnée. Tout se passe bien. Ils ont un bon travail. Après 15 ou 20 minutes, vous allez dire : « Je veux qu’on me rembourse ! Il ne se passe rien ».

 

Si après un quart d’heure, ils se déplacent en voiture, toujours heureux, ils croisent tout à coup une auto-stoppeuse, une belle fille qui vient d’être attaquée : « Est-ce que vous pouvez m’aider ? » Ah, il se passe quelque chose ! C’est évidemment le cas. Les protagonistes doivent là faire face à des défis et des problèmes. La vie normale est perturbée. Or, aucun changement ne se produit à moins que la vie normale ne soit perturbée.

 

Donc, dans les bons films, vous voyez que la perturbation de la vie normale qui est au départ et habituellement interprétée de façon négative par ceux qui l’éprouvent, la perturbation de la vie normale est ce qui permet finalement un changement de conscience. Dans les mauvais films, il n’y a que le conflit qui n’est jamais transcendé au niveau intérieur. Il peut être résolu sur le plan extérieur. Le criminel est finalement mis en prison et vous êtes content : « Ah, il a eu ce qu’il mérite ». Or, il n’y a pas de changement ici.

 

Si le conflit qui survient, si la perturbation de la vie normale aboutit à un approfondissement, cela n’arrive pas seulement au personnage à l’écran. Ne serait-ce qu’à un faible degré, le spectateur reçoit quelque chose du changement de conscience qui arrive au personnage à l’écran à travers l’acte même de l’identification. C’est le pouvoir du divertissement qui vous invite à vous identifier.

 

L’acceptation des invraisemblances : la plupart d’entre vous connaissent cette expression. Je crois qu’elle vient du théâtre et elle s’applique aussi au cinéma. « Invraisemblance » veut dire que tout le monde sait qu’en réalité, ces choses ne se produisent pas. C’est l’invraisemblance. Or, en le regardant, le film vous incite dans une certaine mesure à accepter volontairement comme réel ce que vous savez ne pas se produire en réalité. C’est pour vous comme si cela se produisait, d’autant plus si vous vous identifiez au personnage. Et si le personnage auquel vous vous êtes identifiés vit une transformation, cela peut provoquer… Après avoir regardé le film, vous n’êtes plus tout à fait la même personne qu’avant. À un certain degré, il y a une participation au changement vécu par le personnage.

 

C’est une possibilité considérable d’apporter cela à l’humanité à travers le cinéma et j’ai envie de vous donner quelques exemples de film que j’aime bien et où cela se produit. Pour cela, il faut que je regarde ma liste.

 

Évidemment, un film qui fait toujours partie de mes favoris, que la plupart de vous ont probablement vu, c’est Un jour sans fin avec Bill Murray. Pour ceux qui ne l’ont pas vu, je vais résumer en une minute ce dont il est question. Il y a un homme qui a un état d’esprit plutôt négatif qui le piège. Il se plaint de tout, il déteste tout le monde et où qu’il soit, il n’aime rien. Il est cynique. C’est un présentateur météo à la télévision, un météorologue. Il se rend dans une ville pour couvrir les festivités du jour de la Marmotte. Cela se passe en hiver. Évidemment, il déteste cette ville. Il lui faut rester là une nuit avec ses assistants dans un petit hôtel.

 

Il se retrouve alors piégé dans cette journée. Il se réveille chaque matin et c’est toujours la même journée dans la même ville. À chaque fois que son réveil retentit le matin, il entend la même chanson à la radio. Je me souviens que c’est une chanson de Cher à ses débuts : « I got you, babe » ou quelque chose comme ça. Et il est de plus en plus… Tout ce qui arrive est la même chose pendant la journée. Il rencontre les mêmes personnes. Il ne peut pas sortir de cette journée. Il est emprisonné dans le temps, emprisonné dans cette journée. Il est obligé de revivre… Cela varie bien sûr selon ce qu’il fait, mais la situation principale est le même jour qui se répète encore et encore. Il essaie des choses, mais il ne peut pas en sortir. À la fin, il est si désespéré qu’il essaie de se suicider. Il se jette d’une falaise en voiture et il perd conscience. Ensuite, il se réveille subitement et il est à nouveau 7 heures du matin.

 

Donc, il ne peut pas en sortir jusqu’à ce que, finalement, un changement se produit en lui. Il commence à s’abandonner, à accepter la journée et chaque instant de cette journée tel qu’il est. Et comme il est dans l’acceptation, il se met tout à coup à avoir de l’empathie pour les autres humains. Tout à coup, il leur vient en aide. Donc, la façon dont il vit cette journée change subitement, parce que son attitude intérieure envers elle change. Et chaque jour, bien que ce soit toujours le même jour, devient de plus en plus beau. Et à la fin, il dit à son assistante – et finalement, ils commencent même à s’aimer, parce qu’il s’ouvre – il lui dit : « Oh, cet endroit est ravissant, restons ici ! » Et le jour suivant, il est finalement autorisé à s’en aller et c’est vraiment un autre jour.

 

Ce n’est donc qu’en s’abandonnant qu’il a expérimenté la beauté de cette journée et qu’il a été libéré. Le suicide n’est pas une solution. Il faut revenir. Si vous êtes toujours dans la résistance et que vous vous suicidez, vous revenez. C’est un film merveilleux. Le message essentiel est très profond. J’ai dû le voir cinq fois.

 

J’ai aussi trouvé des éléments spirituels dans Le dernier samouraï avec Tom Cruise. Ce sont des films qui comportent un élément archétypal. Il y en a pas mal, des films transformationnels. Et la partie archétypale de ces films est qu’au début, le protagoniste éprouve ce qui pourrait être appelé dans le langage mythique « la descente en enfer » ou le voyage dans la nuit, autrement dit le chaos, le désespoir total. Le protagoniste doit donc sombrer dans le désespoir et le chaos et à partir de là, il vit une renaissance d’une manière que vit le personnage dans « Le dernier samouraï ». Il est devenu alcoolique, complètement désenchanté de la vie. Plus rien n’a de valeur pour lui.

 

Il se fait capturer par hasard par les derniers guerriers samouraïs du Japon qui restent et il vit avec eux dans un village. Et dans ce village, pour la première fois, il rencontre également le silence et la manière simple dont ils font les choses. Au début, tout en lui est aux abois. Il ne parle pas le japonais, mais il connaît tout de même un mot, parce qu’il est alcoolique. Les premiers jours, il crie constamment : « Saké, saké ! » Il lui faut un autre verre, mais il ne l’obtient pas.

 

Il en sort finalement. Il est transformé par le silence dans lequel vit cette communauté de samouraïs et finit par en faire partie. Le film montre donc la transformation permise par le silence. D’ailleurs, un film qui a le courage d’inclure du silence, c’est très rare, mais c’est le cas et cela vous fait remarquer la dimension transcendante en vous. Quand vous la voyez dans un film et pouvez vous y ouvrir, c’est merveilleux… dans ces quelques films qui ont un peu de silence, qui ont le courage d’avoir du silence.

 

Dans le film, L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, qui a peut-être une vingtaine d’années maintenant, ils ont eu le courage de montrer de longs moments de silence, par exemple quand il se confronte dans un champ immense au cheval qui a été traumatisé. Le cheval est à l’autre bout du champ et l’homme qui murmure à l’oreille des chevaux est assis là, reste simplement très longtemps avec le cheval et vous voyez le vent balayer le champ. Ensuite, il s’approche un peu plus du cheval et le cheval s’approche un peu également. Et finalement, à travers le silence, – et bien sûr, le spectateur prend part au silence – le cheval et l’humain se rencontrent. C’est en soi transformationnel de rencontrer le silence dans un film.

 

Mais revenons un moment à la transformation à travers le désespoir notamment. Le voile des illusions est un autre film ravissant. À propos, certains de ces films sont réalisés à partir d’excellents livres, mais ici, nous nous en tenons bien sûr aux films. Le voile des illusions est tiré du roman de Somerset Maugham. C’est une femme qui se marie pour l’argent et par convenance, une femme qui est très superficielle et incapable d’amour véritable. Elle trompe son conjoint dès le début du mariage et lui qui est médecin, pour la punir, il l’emmène dans un endroit en Chine où sévit le choléra et qui est au fond pour elle un enfer.

 

En étant confrontée à cette grande souffrance, elle subit peu à peu une ouverture et devient capable d’aimer. En d’autres termes, la souffrance entame son soi égoïque et le film vous montre qu’il y a chez une personne qui semblait très superficielle… Personne n’est véritablement superficiel. Cela ne concerne que les apparences extérieures. Tout le monde a potentiellement la même profondeur. Certains humains ont besoin de la souffrance ou de la descente en enfer, du voyage dans la nuit pour casser la coquille de l’ego. Il y a alors tout à coup la profondeur. Tout à coup, émerge la capacité de ressentir l’amour, la compassion, l’empathie envers autrui. Et là encore, en regardant cela, le spectateur prend part dans une certaine mesure au changement de conscience.

 

Un autre film que j’aime bien, peut-être moins connu, est intitulé The Game qui remonte à 20, 25 ans environ, avec Michael Douglas. C’est le rôle que Michael Douglas interprète très bien, qu’il a joué quelques fois, une personne qui est complètement prise dans son ego, un gros soi egoïque fortuné, totalement incapable d’avoir de véritables interactions humaines. Il joue donc ce personnage très riche dans le film avec un ego terrible, un ego énorme, et son frère qui est dysfonctionnel, selon son point de vue – il n’a pas réussi dans la vie – lui donne pour son anniversaire une petite carte. Cette carte donne accès ou permet de participer au jeu qui a été créé par une société. Il y a juste à être d’accord pour participer. Il finit par se décider.

 

La société qui a conçu le jeu crée dans la vie de toute personne qui choisit de participer des situations qui perturbent son existence. Dans le film, vous pouvez voir la façon dont son existence complètement assurée mais sans vie est peu à peu perturbée par des choses qui arrivent : quelqu’un qu’il rencontre, des événements bizarres qui se produisent subitement. Et il finit par ne plus savoir si c’est un jeu. Cela semble réel. À la fin, il croit avoir perdu tout son argent. Il se retrouve dans le dénuement quelque part dans un village au Mexique. Il a tout perdu.

 

Bon, je ne vais pas vous raconter la fin, sauf qu’à la fin, il ne dit pas qu’il s’est éveillé spirituellement, mais à la dernière minute de la fin, il y a une petite allusion au fait qu’il est désormais devenu humain. L’ego était donc si imposant qu’il a fallu qu’il soit détruit par de l’angoisse, de la souffrance extrême et la perte horrible de tout. Le film montre le mécanisme. Parfois, l’acceptation des invraisemblances est dure dans ce film, dans certaines situations, mais néanmoins, ça marche. Cela s’appelle donc le jeu et le jeu est ce dans quoi nous sommes tous engagés, le jeu de la vie. On se plaint des contrariétés de la vie, des conflits qui ne nous laissent pas tranquilles, mais on veut être remboursé si l’on voit un film dans lequel il n’y a pas de conflit. Là, on l’apprécie, mais on s’en plaint quand il surgit dans notre propre vie.

 

C’est bien sûr l’essence même… C’est ce qui vous pousse à vous éveiller et le transcendant, ce sont les défis de la vie. Même quand vous êtes éveillés, la vie continue de vous défier. C’est ce qui est magnifique. Donc, au lieu de dire… Beaucoup d’humains ont une croyance absurde : la vie devrait être dégagée des défis ; « la vie devrait me laisser tranquille. Pourquoi la vie ne peut-elle pas me laisser tranquille ? Je veux être tranquille ». Elle ne le fait pas. Si ce n’est pas une chose, c’est une autre. Et c’est bien, cela vous garde… Une fois que le processus d’éveil s’est engagé en vous, les défis ont tendance à vous apporter un approfondissement. Vous pouvez également vivre temporairement une régression. Un défi peut surgir et votre ego peut revenir, l’ancien schéma réactionnel peut revenir et vous êtes à nouveau piégés, mais non pas trop longtemps. Vous en sortez à nouveau.

 

Ainsi, les défis sont en fait plus faciles à gérer quand le processus d’éveil a commencé. Ils ne se transforment plus en souffrance. Quand le processus d’éveil n’a pas commencé, les défis de la vie se transforment en souffrance et c’est la misère de l’existence ordinaire. « Un problème après l’autre ! Je ne peux plus le supporter. Je vais me suicider ». Eh bien, avant de vous suicider, pourquoi n’essayez-vous pas l’abandon ? Vous n’avez rien à perdre. Et si l’abandon ne marche pas, vous pouvez vous suicider.

 

À nouveau un grand film sur la transformation de quelqu’un qui est complètement piégé dans un sentiment de soi conditionné misérable. Malheureusement, le titre n’est pas très inspirant.

 

Le protagoniste est Clint Eastwood, le producteur est Clint Eastwood et le scénariste est probablement Clint Eastwood. Il s’agit de Gran Torino. Gran Torino, c’est une voiture. En tout cas, le protagoniste possède cette vieille voiture qu’il aime bien et c’est donc le titre du film. Le protagoniste est un ancien militaire. Il a alors plus de 70 ans. Il est très amer et plein de colère contre toute circonstance et tout le monde. Ses voisins sont des émigrants asiatiques : « Qu’est-ce que c’est que ces chinois? Qu’est-ce qu’ils font là ? . . . Laissez-moi tranquille ! »

 

Or, il y a une adolescente parmi ces émigrants asiatiques qui vient le voir de temps en temps, parler avec lui de temps en temps, et il commence à s’ouvrir un peu à cette jeune fille. Il commence à ressentir un peu d’affection humaine bien qu’il ne se l’avoue pas. Il va même chez ses voisins pour prendre part à un repas, mais il continue de regarder tout le monde avec méfiance. Quand son fils vient et veut le faire entrer dans une maison de retraite, il enrage . . . « Je n’irai nulle part ».

 

Et à mesure qu’il s’ouvre en étant en relation avec la jeune fille… L’adolescente est attaquée et violée par une bande. Il l’avait déjà protégée de cette bande. C’est un ancien militaire et ces voyous le respectent vraiment, parce que sa présence est très menaçante. Il est évidemment armé. Il ne dit pas « Qu’est-ce que vous attendez ? » mais c’est un peu son attitude. Et il comprend aussi qu’il lui faut voir un médecin, qu’il est malade. Il a le cancer des poumons ou quelque chose. Tout le monde attend qu’il tue ces voyous en représailles de ce qu’ils ont fait à la jeune fille, pour laquelle il a commencé à avoir de l’affection.

 

Finalement, dans la deuxième moitié du film, il parvient à la transcendance du soi. Il se rend là où vivent les voyous, fait semblant d’être armé alors qu’il ne l’est pas. Il met la main dans sa poche comme pour prendre son arme et les voyous le tuent et se rendent compte qu’il n’était pas armé. Il y a bien sûr beaucoup de témoins et tous les coupables sont arrêtés. Il a donc donné sa vie pour faire disparaître les voyous. Il a offert sa vie à la jeune fille comme acte ultime d’abandon du soi. Symboliquement, quand ils l’ont tué, il était étendu sur le sol comme Jésus sur la croix. Il était étendu mort. C’est magnifique de voir le changement progressif en lui à partir d’une totale négativité, d’un soi égoïque jusqu’à la transcendance du soi. C’est un film ravissant à voir si vous ne l’avez pas encore vu.

 

Je veux mentionner brièvement le film Un homme d’exception qui relate une histoire vraie, celle d’un scientifique qui a des délires. Il voit des gens qui ne sont pas là et qui lui parlent, mais il n’en est pas conscient. Pour lui, ces gens sont très réels. Il ne sait pas qu’il est schizophrène, pas plus que le spectateur. Jusqu’à la première moitié du film, le spectateur prend part lui aussi à sa démence. C’est présenté dans le film très habilement : le spectateur fait partie de sa démence, parce que le spectateur croit exactement ce qu’il croit, que tous ces gens qui lui parlent et à qui il parle sont réels. Et c’est seulement à un certain moment au milieu du film que lui et le spectateur se rendent compte qu’il ne s’agit que d’un délire.

 

Subitement, il devient donc conscient de ce que son propre mental a créé. La conscience a émergé en lui et comme la conscience a émergé en lui, il n’est plus à la merci de son propre mental. Dans ce film, son propre mental est extériorisé sous la forme des gens qui viennent à lui et lui parlent. Or, tout un chacun a évidemment son propre mental qui lui parle. Toute personne normale vit cela. Vous avez des schémas mentaux qui surgissent sans discontinuer, qui vous parlent. En fait, tout le monde est confronté à cette forme de folie.

 

Ce n’est pas dans le film, j’apporte juste un petit complément qui est toutefois impliqué dans le film. Tout le monde souffre au fond de la folie qu’il vit comme un événement extérieur, comme des événements extérieurs. Tout le monde éprouve la même folie en soi en tant qu’événements intérieurs. Tout le monde a des schémas mentaux persistants, des paquets de pensées et des schémas réactionnels qui dictent de dire ceci, de dire cela, de faire ceci, de faire cela. Ils vous parlent. Et bien sûr, dans l’état d’inconscience, vous êtes identifiés avec ce que dit votre mental. Cela correspond à la croyance dans le film en la réalité absolue des gens qui parlent au protagoniste.

 

Survient alors la compréhension que ce n’est finalement pas réel, que ce n’est pas qui je suis. La conscience émerge. Et dans le film – c’est montré magnifiquement – une fois qu’il sait que ces gens qui viennent à lui ne sont pas réels, une ou deux fois, quand quelqu’un vient le voir, il lui faut… – au fait, c’est quelqu’un qui a eu le prix Nobel des mathématiques ou de l’économie, je ne sais lequel. Il s’agit vraiment d’une personne réelle. Dans le film, quelqu’un vient le voir et l’informe qu’il a reçu le prix Nobel. Il regarde cette personne avec méfiance, parce qu’il ne sait pas si elle est réelle ou si c’est encore une apparition. Il appelle un ami pour s’en assurer : « Oui ! »

 

La conscience qui émerge en lui de ce que son mental a créé n’aboutit pas immédiatement à l’arrêt de toutes ces choses qui lui arrivent. Elles se produisent toujours ; elles essaient toujours de s’imposer. Ce qu’il fait alors, consiste à ne pas leur accorder d’attention. Quand elles lui parlent, il n’en fait pas cas. Il se dit : « OK, je ne suis pas intéressé, je n’écoute pas, je ne suis pas intéressé ».

 

Là encore, cela renvoie à ce que vous pouvez faire pour vous-mêmes. Vous pouvez reconnaître les pensées persistantes qui exercent une attraction et ne pas vous laisser embarquer. Par exemple : « Tu dois penser à ceci ». Vous répondez : « Cela ne m’intéresse plus ». Vous amenez votre attention au moment présent, juste cela. « Je ne te suis plus là où tu veux m’emmener ». Vous n’avez pas besoin de vous battre. C’est simplement un retrait tranquille de l’attention de là où la pensée veut vous amener plutôt que d’essayer d’exclure la pensée par une sorte d’acte quasi violent, ce qui ne marche pas : « Dégage ! ». Il ne s’agit pas de résistance, mais simplement de choisir où vous voulez mettre votre attention. « Je ne vais pas te suivre ».

 

Par exemple, il y a une fille qu’il voit toujours, qui n’est pas réelle. Pendant tout un temps, il voit toujours cette fille assise dans un coin quelque part, mais elle a pratiquement cessé de lui parler. Simplement, elle est encore là de temps en temps et regarde. Et finalement, il en est libéré la plupart du temps. C’est donc un changement progressif. Pour moi, cela ne vous montre pas seulement l’histoire de la folie et son dépassement. Cela s’applique en fait à tout le monde, parce que dans l’état de non-éveil, tout le monde souffre de la même folie.

 

Un homme d’exception, le titre original. L’esprit devient beau lorsque la conscience émerge, parce que jusque-là, il n’est pas vraiment beau.

 

Certains films sont ravissants, parce qu’ils vous montrent un personnage pratiquement sans ego. Quand vous pouvez regarder un être humain qui agit en étant dégagé de l’ego, c’est en soi libérateur, voir un être humain qui n’est pas surchargé de l’inconscience que nous appelons ego. Dans la vie normale, je dirais que le Dalaï-lama en est un bon exemple. Son enseignement principal, tel que je le vois, n’est pas ce qu’il dit. Son enseignement principal est son être. Son enseignement consiste à être assis là et à regarder l’assistance, à vous regarder.

 

Quelqu’un lui pose alors une question et quand j’ai passé un peu de temps avec lui l’année dernière, j’ai été surpris de ce que très souvent, quand les gens posent une question… – Parfois, les questions sont très complexes, pratiquement du genre : « Comment résoudriez-vous les problèmes du monde ? » Pas tout à fait ça mais presque ! Et souvent, il était assis là et disait : « Je ne sais pas, je ne sais pas ». Et parfois bien sûr, après un moment, il disait quelque chose de tout à fait pertinent et utile. Or, cela commence – et il y a aussi un enseignement là – avec le non-savoir. Le non-savoir est un endroit merveilleux en vous et je vous le recommande. Allez là !

 

Vous n’avez pas besoin d’interpréter continuellement toute chose, tout le monde, toute situation, tout être humain. « Qu’est-ce que tu penses de cette personne ? » « Je ne sais pas, c’est un être humain ! » Pourquoi avez-vous besoin d’avoir une opinion ? Pourquoi est-ce que vous avez besoin de cataloguer immédiatement l’autre, lui surimposer une définition ? Voilà comment il est, elle est. Vous avez ainsi créé une prison, non pas seulement pour l’autre, mais également pour vous-mêmes.

 

Le non-savoir est donc un état magnifique, mais en fait, l’ego ne peut pas survivre dans l’état de non-savoir, parce que l’ego a besoin de dire « je sais » ou s’il se trouve dans l’état de non-savoir, il se sent profondément mal à l’aise. Il tente alors de compenser avec une sorte de délire. Donc, regarder simplement le Dalaï-lama, c’est vraiment merveilleux. Il est dégagé du poids d’un soi egoïque. C’est l’enseignement principal.

 

Donc, de temps en temps, dans un film… – Maintenant, que cela arrive par hasard dans certains cas ou que le scénariste ou le réalisateur qui crée cela soit relativement illuminé, je n’en sais rien, mais il y a des films qui ne prétendent pas être supérieurs de quelque façon que ce soit et pourtant, j’ai découvert tout à coup le protagoniste et me suis dit : « Ouah ! Il n’a pas d’ego ». Bien, j’ai envie d’en recommander quelques-uns.

 

L’un est un film de 25 ans qui fait partie de la série Indiana Jones, si je me souviens bien, des films d’aventure, et celui-ci est intitulé Le diamant du Nil. En dehors d’Indiana Jones, le protagoniste dans le film est un saint homme soufi. Habituellement, fait d’une façon très légère, mais habituellement, quand vous voyez un saint homme dans les films, vous avez ce que le mental projette comme étant un saint homme, quelque chose comme . . . Mais celui-ci est un jeune homme qui est enfantin, innocent, plein d’humour, aérien et qui ne se prend pas au sérieux. Il est d’une innocence merveilleuse.

 

Plus tard, il s’avère dans le film, dont le titre est Le diamant du Nil… Le protagoniste croit au début que ce qui est recherché, c’est cet incroyable diamant. À un certain moment dans le film, ils comprennent que le diamant du Nil n’est pas du tout un diamant. C’est ainsi qu’est appelé ce saint homme. Il est le diamant du Nil et il y a un imposteur qui veut prendre sa place. Il veut tuer le diamant du Nil et l’imposteur représente le soi égoïque à un degré extrême. Il réussit presque, mais il ne réussit pas évidemment!

 

À la fin, le véritable diamant du Nil arrive et il est reconnu par tout le monde dans un grand théâtre. Un feu se déclare tout à coup et cet innocent diamant du Nil traverse simplement les flammes, mais il n’y a là personne pour en tirer avantage et déclarer : « Je peux traverser les flammes ». Simplement, il traverse les flammes. Puis il est là et se met à danser. Il y a là un enseignement magnifique d’un être sans ego. Maintenant, comment cela est arrivé dans un film d’Indiana Jones, je ne sais pas, mais c’est là.

 

Un autre film que j’ai vu, où je me suis dit : « Ouah, ce personnage n’a pas d’ego ! » Il est intitulé Burt Munro. Titre original : l’Indian la plus rapide du monde. Il s’agit d’un homme âgé de Nouvelle-Zélande, joué par Anthony Hopkins. Il se rend aux États-Unis pour participer à une course en moto. L’Indian est une ancienne moto qu’il possède. C’est donc son voyage de la Nouvelle-Zélande aux États-Unis avec les gens qu’il rencontre et la façon dont il interagit avec eux. Dans aucune interaction, il ne fait montre d’un ego. Il n’y a là qu’une présence, aucune réaction. Tout le monde est immédiatement accepté. C’est magnifique à voir.

 

Là encore, je ne sais pas si c’est une création fortuite, si c’est une conscience plus élevée qui guide parfois le scénariste pour créer un personnage qui soit dégagé de l’ego ou si le scénariste crée en toute conscience un personnage qui est dégagé de l’ego. Je ne sais pas, mais ce n’est pas vraiment important. C’est un enseignement que de voir un personnage sans ego. Cela n’arrive pas très souvent. Il en va de même dans la vie quotidienne. Vous ne rencontrez pas souvent des gens sans ego, mais les humains qui s’éveillent ne sont plus complètement dominés par l’ego. La dimension transcendante est donc en vous.

 

Il y a bien sûr des films qui montrent des gens qui en sont à un stade pré-égoïque et cela en soi peut également être magnifique. Vous n’êtes pas destinés à aller là, mais c’est magnifique de voir comment ceux qui sont sans ego se trouvent en accord avec la totalité de la vie et comment ils sont soutenus dans leur vie quotidienne par les événements qui leur arrivent. C’est parce qu’ils sont en accord avec la totalité. Non seulement ils sont d’une grande aide pour les autres humains et les situations, mais la vie les aide également.

 

En l’absence d’ego, vous êtes une bénédiction pour le monde et il y a donc deux films en particulier qui montrent des protagonistes qui se trouvent à un stade pré-égoïque. Pré-égoïque veut dire que le soi fabriqué par le mental, le moi, l’image que vous avez de vous-mêmes, à travers laquelle vous vivez, qui est constituée de l’activité mentale et de schémas réactionnels n’a pas encore émergé. Ce sont des gens très simples. Ils sont en quelque sorte au stade de l’enfant.

 

C’est également un personnage mythologique qui est souvent décrit comme le fou. Il y a aussi la carte du fou dans le jeu de tarot. Le fou se trouve au stade pré-égoïque. L’ego ne s’est pas encore développé chez lui. Il est enfantin, mais puisque l’ego est absent, il est une expression non obstruée de la totalité de la vie qui peut agir à travers lui. Elle ne peut pas agir à travers un humain plus évolué qui a un gros ego. Donc, dans la mythologie, seul le fou peut souvent accomplir certaines tâches importantes, ce que ne peuvent pas faire les gens intelligents ni les gens évolués qui ont un gros ego. Ils ne peuvent pas être utilisés comme instrument par la conscience supérieure que vous pouvez appeler l’intelligence sous-jacente de la vie. Ils ne peuvent pas être utilisés complètement en tant qu’instrument comme le peut le fou.

 

Le fou est l’état pré-égoïque de la conscience. Il y a ensuite l’état d’éveil ou d’illumination, ce qui veut dire que vous avez dépassé l’ego, que vous vous êtes éveillés de l’ego. Là encore, vous êtes connectés avec la totalité et la conscience supérieure peut vous utiliser à nouveau, d’une manière différente, autrement qu’avec le fou. Un observateur extérieur non illuminé peut ne pas être capable de voir la différence entre vous et le fou, une fois que vous êtes éveillés. Il y a certaines ressemblances, d’un point de vue extérieur, entre le fou et la personne illuminée. Il y a donc parfois une confusion. Parfois, le fou est pris pour quelqu’un d’illuminé et l’illuminé est parfois pris pour un fou.

 

Un grand exemple d’un film où le fou est confondu avec quelqu’un qui est illuminé, c’est le merveilleux film avec Peter Sellers, Bienvenue, Mister chance. Le film concerne cet homme qui a été presque toute sa vie le majordome d’une personne fortunée et qui n’a jamais vraiment quitté la maison. Finalement, cette personne fortunée décède et il se retrouve complètement seul. Il ne peut pas fonctionner dans le monde. Il est pratiquement illettré. Il est très enfantin, il n’a pas d’ego. Tout ce qu’il a, ce sont les vêtements que son maître portait et qui lui vont parfaitement. Il porte donc des costumes très chers. Les exécuteurs testamentaires viennent lui dire qu’il doit partir maintenant, que la maison va être vendue. Il se retrouve donc à la rue avec une petite valise sans savoir où aller, mais vêtus d’un costume d’apparat.

 

Il se fait tout à coup renverser par une voiture sans être gravement blessé, juste un peu. La voiture est une grosse limousine conduite par un chauffeur. Et il y a dans cette limousine une femme extrêmement riche. L’actrice est Shirley MacLaine. Elle l’invite, l’emmène dans sa maison. Il rencontre son mari. Parce qu’il ne fait que des déclarations très brèves, ses propos sont pris erronément pour des remarques très profondes. Il parle généralement en termes de… Il est jardinier, il a fait beaucoup de jardinage pour son ancien maître. Ainsi, il dit : « Je suis le jardinier ». « Oh, Monsieur le Jardinier ! ». Le mari le questionne à propos de l’économie : « Eh bien, au printemps, quand les bourgeons s’ouvriront, tout ira bien » ou quelque chose comme ça. « Oh, oh ! »

 

Et il rencontre ensuite le président des États-Unis qui rend visite à ces gens et qui apprécie aussi ce qu’il dit, etc., etc. Vers la fin du film, on veut en faire le prochain président. Personne ne se rend compte qu’il est fou en le considérant comme hautement évolué, illuminé, comme ayant même un grand sens de l’humour, mais ce n’est pas cela. Ils empruntent un ascenseur qu’il n’avait pas encore vu dans cette maison et il déclare : « Oh, que cette pièce est petite ! ». Et tout le monde : . . .

 

Il est donc au stade pré-egoÏque et la vie prend soin de lui, notamment au moment où il a un accident. On a une chose similaire avec le film Forrest Gump qui se trouve aussi au stade pré-egoïque. Il a lui aussi une influence bénéfique. Il aide beaucoup d’humains. C’est un héro de la guerre du Vietnam. Il sauve beaucoup de gens sans en tirer aucun avantage, parce qu’il n’a pas d’ego. Il dit simplement ce qu’il a fait : « J’ai fait ceci ». Mais ce n’est pas : « Moi, j’ai fait cela ». Simplement : « J’ai fait cela ». Il ne s’identifie pas avec ce qu’il a fait. L’image égoïque n’a pas émergé en lui. C’est pourquoi il ne tire avantage de rien. Il est illettré. Il n’est tellement pas intelligent, au sens commun du terme, qu’il est pratiquement incapable de fonctionner normalement.

 

Et pourtant, de façon miraculeuse, il fait de grandes choses. Même les gens qui lui sont proches, qui sont des personnages tragiques dans presque tout le film… Son commandant qu’il a sauvé dans la guerre du Vietnam, qui a perdu ses deux jambes et qui était si malheureux et si mal en point, la fille qu’il aime et qui ne veut pas de lui en réalité, parce qu’elle sait qu’il est trop simple et qu’ils ne peuvent pas vivre ensemble. Elle se retrouve très malheureuse, devient hippie, sombre dans la drogue, etc. Que des personnages tragiques qui, à la fin, vivent tous une libération dans le film. Tous parviennent à un certain degré d’abandon, peut-être du fait d’avoir été à proximité de cet être sans ego qui, là encore, est connecté à un tel point que la vie agit à travers lui.

 

C’est merveilleux de voir cela, bien sûr de voir simplement comment fonctionne une entité non égoïque, mais ce n’est évidemment pas où nous pouvons aller. Vous ne pouvez pas retourner au stade pré-égoïque, parce que nous avons tous atteint le stade égoïque. On ne revient pas en arrière. Vous n’allez pas devenir Forrest Gump. Ce n’est pas ce que nous faisons ici. Il s’agit de transcender le stade égoïque, mais pour reconnaître le stade non-égoïque, c’est magnifique de le voir dans sa forme initiale, un ego libre, parce qu’il a pas mal de ressemblances avec le stade post-égoïque qui émerge en vous.

 

Quelque chose de puissant qui est dans votre vie, que vous pouvez bien sûr vivre facilement tout le temps, c’est la réalité de l’impermanence de toutes les formes, du fait que rien ne dure. Si vous vivez depuis suffisamment longtemps, vous vous mettez à remarquer que les gens de votre cercle de connaissances et vos amis commencent à mourir. Vous devenez ainsi conscients de l’impermanence, aussi en connaissant la perte. L’impermanence est une prise de conscience très puissante pour les humains quand on n’y résiste pas. Quand vous pouvez être avec quelqu’un qui est mort ou avec une grosse perte et l’accepter tel que c’est, toute expérience d’impermanence peut être une ouverture à la dimension transcendante en vous.

 

Si l’on y résiste, il y a la souffrance. Si l’on n’y résiste pas et le reconnaît comme le fait inévitable de l’existence perçue par les sens, reconnaît que rien ne dure longtemps, que rien de ce que vous avez ne dure vraiment longtemps, que tout est voué à la dissolution et que tout cela est très bien, si un film peut vous montrer à un certain degré la réalité de l’impermanence, ce film peut alors être également un point d’accès à la dimension transcendante.

 

Un film qui a cela et que j’aime beaucoup est intitulé N’oublie jamais et le sujet est une femme qui souffre de la maladie d’Alzheimer. Son mari reste avec elle bien que ce soit douloureux. Elle ne sait plus qui il est. Il lui lit une histoire d’un journal intime. C’est l’histoire d’un jeune couple qui se rencontre et tombe amoureux. Le film passe du vieil homme et de la femme atteinte d’Alzheimer au couple amoureux. Plus tard dans le film, vous vous rendez compte que ce sont les mêmes personnes. Elle a écrit ce journal, parce qu’elle avait compris au début de la maladie qu’elle allait perdre la mémoire. Elle a donc transcrit les choses dont il lui fait la lecture.

 

Il y a continuellement des passages d’une période à l’autre. On les voit jeunes et on les voit âgés, proches de la mort, en particulier la femme, et ces passages d’une période à l’autre vous donnent une impression très forte de l’impermanence. Regarder cela est toute une expérience spirituelle, regarder les jeunes gens, les personnes âgées, ce sont les mêmes personnes. La brièveté du temps. Quelque chose émerge en vous quand vous ne résistez pas à l’impermanence. C’est le silence et la présence.

 

C’est presque gratifiant de regarder… Ce qui avant était désagréable à regarder, la réalité de l’impermanence, une fois que vous n’y résistez plus, c’est en fait très gratifiant de voir comment les formes de vie se dissolvent continuellement. Les formes ne sont pas ici pour durer. Et quand vous reconnaissez la fugacité de toutes les formes, quelque chose en vous qui n’appartient pas au caractère éphémère de toutes les formes jaillit de façon puissante. Et qu’est-ce que c’est ? On peut dire que c’est la conscience elle-même, le sans-forme en soi, parce que c’est seulement à partir de là qu’on peut être conscient de l’aspect temporaire de toutes les formes.

 

Donc, même dans un film à grand succès comme Titanic, il y a une dimension spirituelle, parce qu’il vous montre le délabrement, le paquebot naufragé au fond de la mer, plusieurs fois dans le film, au début, à la fin, au milieu. Il y a des flash-back : vous voyez d’abord la vie sur le bateau, les gens, et tout à coup, vous avez l’image du paquebot délabré au fond de la mer. Les passages successifs d’une situation à l’autre vous donnent une forte impression de l’aspect quasi onirique de ce qui se passe sur le bateau. Tout cela est déjà passé.

 

Avant même de regarder, tout le monde sait ce qui va arriver et néanmoins, le film va capter toute votre attention. Le film comprend donc cette dimension. Il y a aussi la femme qui est une jeune fille sur le bateau et une femme très âgée au temps présent. À propos, l’actrice qui tient le rôle de la femme âgée est décédée il y a quelques semaines. Quand vous voyez dans un film un même personnage représenté jeune et âgé, c’est tout un approfondissement.

 

D’ailleurs, je fais souvent cette expérience quand je regarde une jeune personne. Quand je regarde une personne âgée, je vois un peu comme en flash-back cette même personne en tant que jeune garçon ou jeune fille, jeune homme ou jeune femme. Et parfois, en regardant une jeune femme ou un jeune homme, je peux voir également cette même personne comme étant déjà âgée. Il n’y a jamais que quelques années entre les deux, entre ceci et cela, juste quelques années. Et après . . . fini !

 

L’un des films les plus spirituel – ce n’est pas un film – c’est une publicité. La publicité la plus spirituelle qui ait jamais été réalisée, c’est pour une bière. Je ne me rappelle pas pour quelle bière, une bière scandinave. Le clip dure environ 40 secondes et débute avec une sorte de…Je ne sais pas si c’est un cartoon, mais on dirait qu’il y a un être humain réel. Vous voyez un bébé sortir en flèche de l’utérus d’une femme, un petit bébé.

 

Il monte ainsi dans le ciel et tout en montant, il commence déjà à grandir jusqu’à devenir adulte, en l’espace de quelques secondes, en montant de plus en plus haut. Quand il atteint le point le plus élevé, c’est un homme à la fleur de l’âge et il commence à redescendre comme en pleurant . . . En approchant le sol, il est déjà devenu un vieillard et il se retrouve tout d’un coup dans la terre, dans la tombe. C’est la fin. Tout à coup, il a fini de pleurer. Et le tout a duré 30 ou 40 secondes : croissance, maturité, vieillesse… fini ! C’est une publicité pour la bière et on vous dit alors : « La vie est courte, buvez cette bière ! »

 

Je pense que, sans le savoir, ils ont réalisé une publicité profondément spirituelle. Les gens de la publicité ont peut-être été guidés par quelque puissance supérieure. Des amis à nous ont tellement aimé cette publicité qu’ils ont voulu nous la transférer pour que nous puissions la regarder. On devrait peut-être la mettre sur le site.

 

Et il y a bien sûr des films qui apportent, à un certain degré, une impression de présence ou de présence-témoin. Il y a un film parmi quelques-uns qui n’est vraiment pas ennuyeux bien que certains ont dit qu’il l’était. C’est ce qu’ils m’ont dit, mais je ne l’ai pas trouvé ennuyeux. C’est un film qui ne présente pratiquement rien de conflictuel. Il s’intitule Lost in translation .

 

Au départ, vous pourriez dire : « Qu’est-ce qu’il y a de spirituel dans ce film ? » On y retrouve Bill Murray, un peu plus âgé maintenant. Il se rend au Japon. Il joue le rôle d’un acteur célèbre, ce qu’il est lui-même, c’est donc son personnage. Il se rend au Japon afin de tourner une publicité pour un whisky et il y passe quelques jours. Il rencontre une jeune fille à l’hôtel. Ce qu’il y a de spirituel, c’est cette jeune fille qui n’a pas de fonction particulière dans le film en tant que telle. Elle est là, parce que son petit ami doit faire des photos. Elle est dans le même hôtel que le vieil acteur et ils passent de plus en plus de temps ensemble.

 

Et la fille se promène dans la ville en regardant simplement les choses. Elle est une présence-témoin dans le film, non pas une présence active. Elle est là en regardant simplement alentour, en regardant des choses. Elle se rend à Kyoto en train, ce qui lui prend quelques heures, en regardant, les choses la vie japonaise qui se déroule. Ce film a donc un personnage qui représente une présence-témoin. Au lieu de prendre part, d’initier des actions, la possibilité d’être simplement une présence témoin. Et je recommande à tout producteur de film en herbe ou confirmé, à tout scénariste ici d’explorer cela un peu plus. Amener dans un film la qualité de témoin représente un grand potentiel.

 

On a cela dans d’autres films. À un certain degré, on le retrouve dans le film American Beauty où la conscience-témoin est représentée par un jeune homme qui se déplace avec une caméra. Il regarde le monde en filmant tout ce qu’il voit, ses voisins, tout ce qu’il voit. Le point fort du film est un bout de papier froissé ou un sac en plastic qui vole au vent. Ce qu’il filme devient l’image à l’écran et la voix off dit quelque chose de magnifique à ce sujet… En étant témoin même de cela, il y voit une beauté incroyable. C’est la beauté de chaque instant ; c’est simplement incroyable. Et à cet instant, le spectateur du film ressent ce dont il parle. En regardant ce bout de papier ou ce sachet qui vole au vent, on voit une danse.

 

C’est quelque chose qui échapperait à tout le monde, parce qu’en général, ce qui nous intéresse dans un film, c’est ce qui se produit. Mais ici, ce qui se produit est fréquemment interrompu et ce qui est alors présenté, c’est simplement l’état de témoin, d’observation pure, de vie. Un film peut vous montrer quelque chose qui échappe habituellement pour voir la beauté qui est là à chaque instant et en toute chose, même dans la chose la plus insignifiante. Personne n’irait certainement pas chercher la beauté dans un bout de papier qui vole au vent. Elle est pourtant là et quand vous la voyez, vous voyez la danse de la forme là encore. Cela vous éveille à la beauté qui se trouve en chaque petite chose dans la vie.

 

C’est donc une chose magnifique que peut faire un film. Il peut pointer le doigt dans cette direction pour vous rendre plus conscients de l’état de vie et la profondeur qui se trouvent en toute chose et en particulier dans les choses qui vous échappent ordinairement, parce qu’il y a quelque chose de « plus important ». La dimension transcendante est donc intensément présente. Bien qu’il y ait naturellement dans tous ces films une histoire qui suit son cours, vous êtes subitement écartés de l’intrigue et vous voyez quelque chose qui n’a absolument rien à voir avec l’intrigue. Cela donne cependant une profondeur qui n’était pas là avant et c’est la dimension transcendante. C’est par conséquent ce qu’il vous faut faire dans votre vie quotidienne et que vous faites probablement déjà.

 

Certes, vous allez toujours quelque part pour faire quelque chose. Dès lors où vous allez quelque part, vous allez faire ceci, rencontrer cette personne, faire cela. Vous êtes toujours en chemin vers quelque chose, mais êtes-vous à ce point pris par ce que vous voulez atteindre que vous passez à côté de tout ce qui se trouve sur le chemin , de tout ce qui est autour de vous, de la beauté qui est toujours autour de vous ? Êtes-vous capables de reconnaître le ciel bleu, les nuages qui se déplacent dans le ciel, d’être conscients des gouttes de pluie qui tombent, surtout aujourd’hui en fin de soirée – ça vient ? Les gouttes de pluie qui tombent, il y a là de la beauté. La lumière qui se reflète sur une surface ou dans un verre d’eau. Juste un état de vie et une beauté. L’état de vie de la lumière tout autour de vous.

 

C’est négligé. 99 % de tout cela est ignoré, parce que : « J’ai des choses bien plus importantes à faire ». Et c’est quoi qui est si important ? « C’est le moment futur auquel je dois parvenir. C’est plus importan et non pas ça. Je suis en chemin pour aller là-bas, je ne peux pas être ici.

 

Je ne peux pas être où je suis, parce que je dois être là-bas ». C’est l’existence humaine ordinaire. Et évidemment, vous n’arrivez jamais là-bas, parce que là-bas reste toujours là-bas. Là-bas ne peut pas devenir ici, parce qu’ici est déjà ici. Le « là-bas » est une création mentale. Vous poursuivez donc la création mentale du là-bas qui est le moment futur, le futur, lequel est une pensée, rien d’autre. « Il faut que j’aille là-bas ». Quand vous arrivez là-bas, c’est bien sûr à nouveau ici et à nouveau, vous n’y êtes pas.

 

La dimension transcendante, c’est quand vous reconnaissez l’ici. Par surcroît, oui, vous vous occupez de ce que vous avez à accomplir, mais de plus en plus, vous reconnaissez l’ici et cela approfondit la vie. C’est la dimension de la profondeur. C’est seulement alors qu’émerge l’état de vie et que vous pouvez appréciez la beauté de tout ce qui est, non pas nécessairement la beauté conventionnelle appliquée à ce qui est rare et qui vous fait dire : « Oh, c’est vraiment une fleur magnifique ». Oui, elle l’est, mais les petites bulles d’air qui se forment dans ce verre sont également merveilleuses. Elles reflètent la lumière telle des petits diamants.

 

Voyez la lumière qui se reflète à la surface de cette table. L’air que vous respirez, la lumière… il y a un état de vie en toute chose. Vous pouvez le reconnaître. La texture de quelque chose. Et quand vous allez dehors, les formes de vie qui naissent et meurent continuellement, c’est une danse de la vie. Et ce n’est pas personnel. Vous transcendez l’aspect simplement personnel quand vous reconnaissez cette dimension par la présence. La présence est donc nécessaire pour reconnaître pleinement l’ici. Donc, si un film peut vous aider à faire cela, il remplit une fonction merveilleuse.

 

Il y a Le guerrier pacifique, un film que la critique n’a pas aimé, mais n’écoutez pas toujours la critique. J’ai vu des films vraiment mauvais pour lesquels la critique ne tarissait pas d’éloges et vice-versa. Le guerrier pacifique est bien sûr adapté du livre. Il s’agit d’un jeune homme qui apprend ce que veut dire être présent. Le film est magnifique, parce qu’il vous montre qu’il n’y a pas de moments insignifiants. C’est l’une des paroles importantes de ce film : « Il n’y a pas de moments insignifiants ». Chaque moment contient une beauté et un état de vie intense.

 

Et dans le film, l’enseignant montre au jeune homme ce que cela signifie. La caméra vous montre l’état de vie de ce qui était avant considéré comme insignifiant. Chaque moment comporte un état de vie intense. Là encore, cela vous donne une expérience de la présence, mais cela ne devient significatif que s’il y a déjà de la présence en vous de sorte que vous la reconnaissiez quand vous la voyez. Si vous êtes complètement dans votre tête, cela n’a alors aucun sens. Si vous êtes complètement pris par vos pensées, cela n’a pas de sens. Et c’est probablement ce qui se passe pour la critique. C’est là où ils sont. Bon, pas tous, mais certains, la plupart.

 

La légende de Bagger Vance, un autre film que je recommanderais. Il s’agit d’un joueur de golf professionnel qui doit partir à la guerre et qui a perdu, quand il revient, sa capacité à jouer. Il rencontre Bagger qui devient son caddie, son assistant. Je suppose que c’est un terme de golf. C’est un jeune gars noir qui est en réalité un enseignant spirituel. Il lui apprend à rejouer au golf, mais dans un sens plus profond, ce que veut dire être présent en jouant.

 

La deuxième partie du film est la partie principale quand il apprend ce qu’est être présent. Il finit par faire des tirs extraordinaires. Avant de frapper la balle, il retrouve une présence absolue. Il est sans pensées. L’une des choses que lui dit Bagger, son assistant : « Ce que vous apprenez, c’est arrêter de penser sans vous endormir ». S’arrêter de penser sans s’endormir, c’est en fait l’essence de la présence. En regardant cela, quand il y a ces moments, le spectateur est invité à faire l’expérience de cet état de conscience : arrêtez de penser sans vous endormir. Et il lève sa canne et frappe. Il voit déjà où la balle va arriver. Dans le présent, il regarde, puis il frappe . . .

 

J’aimerais donc voir un peu plus dans les films de ces réels moments de présence où le personnage fait l’expérience de la présence et où, en regardant, le spectateur arrive dans l’état de présence.

 

Il y a eu un autre film, un film allemand qui remonte à pas mal d’années, Les ailes du désir. Il fera plus tard l’objet d’un remake à Hollywood, intitulé La cité des anges. La version originale est certainement un peu mieux. Il y a dans la seconde version beaucoup d’éléments très romantiques qui affectent un peu la dimension de la présence-témoin. Il y a ces anges qui se promènent dans la cité en regardant ce que font les humains et en écoutant aussi leur mental. Ils sont de pures présences-témoins.

 

Dans la version originale, cela se passe à Berlin. Personne ne peut voir les anges, parce qu’ils ressemblent à des humains. Ils se déplacent en tant que présences pures, ne faisant que regarder, et ils sont ébahis par les expériences humaines, par ce qu’ils font. Ils sont ébahis par les perceptions sensorielles que connaissent les humains. Ils sont ébahis par toutes les choses qui n’étonnent même plus les humains, parce qu’elles sont familières. Or, quand vous voyez ce qui est familier à travers l’oeil de la pure présence, ce qui est familier n’est plus familier.. C’est tout à coup vivant et nouveau et la présence émerge.

 

Il y a donc là un grand potentiel pour les scénaristes et les réalisateurs, faire des films véritablement transformationnels qui incarnent la présence et amener le spectateur dans la présence. C’est passionnant, c’est merveilleux. J’espère donc que vous apprécierez certains de ces films si vous ne les avez pas encore vus. Peut-être aurez-vous vos propres idées, peut-être d’un scénario qui veut être écrit, une idée, ou si vous n’avez pas envie d’écrire un scénario, écrivez-nous, faites-nous savoir ce qu’est votre idée. Si vous pensez que vous n’êtes pas à la hauteur, peut-être que quelqu’un d’autre voudra le faire.

 

J’ai mes propres idées et quelqu’un veut que j’écrive le scénario d’un film, à Los Angeles, mais cela ne s’est pas encore fait. Je ne sais pas si cela se fera. Je ne pense pas être très bon pour écrire un vrai scénario, mais je pourrais peut-être travailler avec quelqu’un. On verra. Ces choses arrivent en leur temps et ce n’est pas vraiment important à travers qui elles arrivent. La conscience choisit les canaux les plus appropriés, mais les canaux les plus appropriés ne sont pas toujours les plus prévisibles. Parfois, ce qui semble être un canal non approprié s’avère le plus approprié. Donc, je vais peut-être écrire un scénario.

 

Donc, centrons-nous toujours sur ce qui est bon, l’avènement de la conscience, plutôt que de nous centrer sur l’ancienne conscience qui agit toujours, en grande partie dans les médias et le divertissement. Nous savons tout cela. Donc, au lieu de le déplorer, centrons-nous sur là où la conscience émerge, parce que ce sur quoi l’on se centre, se développe. On lui donne de l’attention. Faites attention aux médias, parce que les médias accordent beaucoup d’attention à la négativité. Je vous recommande donc de les consommer à très petites doses et quand vous les consommez, soyez la conscience-témoin. Ne croyez pas ce qu’ils disent : « C’est très mauvais, très mauvais. Les banques s’effondrent, c’est très mauvais ». Comment savez-vous que c’est mauvais ? Bon, laissons ça !

 

Merci.



06/06/2014
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