« D’où viennent vos pensées »

Maintenant, comme vous le savez ou comme vous l’apprenez, vous n’avez pas besoin de penser tout le temps. C’est du délire que d’imaginer que votre vie ira à vau-l’eau si vous arrêter de penser. Pour la plupart des gens, l’arrêt des pensées est évidemment associé au sommeil, à l’inconscience ou en tout cas à quelque chose qui y est apparenté comme avec un abus d’alcool ou autre. Ici, nous ne buvons pas ; on n’a rien mis dans votre thé. Vous pouvez avoir bu un café bien fort qui pourrait peut-être vous aider à rester vigilant bien qu’il soit mieux de ne pas utiliser de moyens extérieurs.

 

Chose étonnante, votre vie ne va pas à vau-l’eau si vous cesser de penser de temps en temps, mais vous vous familiarisez avec cet état de penser absent qui est la présence. Tout ce qu’il reste après que le penser a cessé est un espace de vigilance, comme maintenant. Cela n’a rien à voir avec le sommeil. Il n’y a là rien à comprendre : « Il faut que je comprenne cet espace de vigilance ». Vous ne le pouvez pas et vous n’y arrivez pas à moins d’en avoir maintenant ne serait-ce qu’un aperçu. Sans en avoir au moins cet aperçu, le mental dira : « De quoi est-ce qu’il parle ? Je ne comprends pas ! »

 

Maintenant, ce que nous entendons par « arrêter de penser », ce n’est pas seulement l’absence du penser. Certes, c’est l’absence du fait de penser, mais c’est surtout la présence de quelque chose de plus grand.

 

Vous êtes cela en essence, vous n’êtes pas l’entité pensante. Cette dernière est un effet temporaire d’une ride à la surface de qui vous êtes.

 

Donc, si vous pouvez sentir la présence que vous êtes sous le penser, vous êtes libérés de l’obligation de penser tout le temps.

Avant de répondre aux questions ici, m’en revient une que quelqu’un m’a posée par écrit. Il n’est pas là, mais beaucoup voulaient connaître la réponse. Ce sont là des questions écrites et provenant de personnes qui ne sont pas là.

Pourquoi est-ce que je me réveille en pleine nuit avec le penser qui prend ses aises ?

Apparemment, beaucoup de gens veulent savoir ça.

 

Êtes-vous capables de vous séparer de vos pensées ? Si vous êtes complètement identifiés aux pensées, Il n’y a pas grand-chose que vous puissiez faire, parce que vous êtes alors les pensées, le penser en mouvement, en action. Le penser en action vous convaincra toujours que cela n’est pas le moment d’arrêter de penser et il aura de très bonnes raisons pour ne pas arrêter de penser. Ses bonnes raisons sont évidemment tous ces problèmes si importants dans votre vie. Il faut les résoudre par le penser. Or, rien n’est jamais résolu de cette façon, mais le mental ne veut pas le savoir : « Oh, il faut absolument que je pense à ceci, cela ! »

 

Il faut un minimum de conscience, se rendre compte : « Ah, il y a le penser qui s’emballe ! » Pour vous aider, vous devez d’abord vous rendre compte que c’est infructueux : « Il n’y a rien dans l’instant que je puisse faire à propos de quoi que ce soit. Je suis au lit, en pleine nuit. Y penser, c’est inutile, infructueux. OK, cela ne veut pas dire forcément que vous allez arrêter de penser sur-le-champ, mais vous avez au moins vu quelque chose.

 

C’est répétitif, ça tourne en boucle inlassablement. « Ça me concerne, concerne mes problèmes ! » Ça peut être l’un de vos proches à qui vous vous identifié à tel point qu’il devient vous-même et vos problèmes. « Je pense aux problèmes de mon enfant, aux problèmes de mes parents, aux problèmes de tel ami… » Cela arrive aussi, mais c’est toujours « moi et mes problèmes », même si le « moi » est identifié à quelqu’un d’autre, a incorporé cet autre, alors devenu « moi ».

 

Au moment où vous vous rendez compte que le penser futile est à nouveau en branle, le choix se présente alors où vous pouvez retirer votre attention des pensées et cela peut être d’une aide précieuse : « C’est futile, je n’ai pas besoin de penser maintenant, ni ne le veux ». Aussi mettez votre attention dans les mains. Retirez-la de la tête et alors que vous êtes allongés là, sentez la vie dans les mains. C’est beaucoup plus agréable que de penser. À partir des mains, vous pourriez également sentir la vie dans les bras. Il émerge alors une vigilance qui n’est pas le penser, parce qu’autrement, vous perdez cette expérience agréable. Vous pourriez sentir vos pieds : « Oh, ils sont vivants ! », ensuite tout le corps comme un espace de vie rayonnante.

 

Évidemment, le mental revient ensuite à la charge : « Oui, mais… ! ». Et vous ne pouvez pas lutter contre ça. Vous pouvez seulement vous dire : « Non, c’est plus agréable ici que là-bas ». Ainsi, le corps subtil devient un ancrage pour la présence. C’est alors que là où, avant, vous étiez envahis par vos problèmes, Il n’y en a plus désormais, parce qu’en ce moment-ci, il n’y a pas de problème à moins de le constituer dans la tête. Une fois que vous vous êtes levés, il peut y avoir quelque chose. Il y a peut-être dehors un animal sauvage qui vous attend pour vous dévorer, mais vous ne pouvez faire face à la situation qu’à condition de vous y trouver.

 

Il n’y a pas de problèmes. Avant, vous étiez submergés de problèmes et, maintenant, vous vous rendez compte que c’étaient des illusions et qu’il n’y a pas de problèmes juste maintenant. Il y a seulement la pleine tranquillité du moment présent, l’épanouissement de la vie du moment présent. En pénétrant le corps subtil et devenant présent à travers les cellules du corps, vous pouvez aussi devenir plus vigilants, plus conscients des perceptions sensorielles. S’il fait nuit, vous serez davantage attentifs aux perceptions auditives, aux petits bruits de la nuit, quoi qu’ils soient, et le silence derrière. Vous en êtes conscients. Là aussi la vie s’épanouit. La peur s’en va, parce que la peur est engendrée par Le mental qui crée des problèmes et ces problèmes n’ont pas de solution, parce qu’ils sont irréels.

 

À ce moment-là, il se peut même que vous ne vouliez pas dormir, parce que c’est tellement agréable. Ce champ d’énergie est si plaisant que vous préférez rester éveillé. Vous pouvez alors vous endormir, mais en paix. Et pour le moment du réveil le matin, je recommanderais, à ce moment où vous vous réveillez et avant de commencer à penser à vos problèmes, de retourner là. Ce sera plus facile si vous vous êtes endormis à partir de cet espace. Quand vous vous réveillez, sentez à nouveau l’épanouissement de la vie. Ensuite, faites ce que vous avez à faire.

 

Mettre son attention sur le corps subtil est d’une grande aide. Mettre son attention sur les perceptions sensorielles est également d’une grande aide, tout comme mettre son attention sur la respiration. La respiration est pratiquement sans forme et vous prêtez donc attention à quelque chose qui n’a pas en soi de forme réelle. Elle est intangible, sans forme, et c’est pourquoi le Bouddha recommandait déjà de mettre son attention sur la respiration, parce que c’est mettre son attention sur le sans-forme.

 

Comme je l’ai déjà dit quelque part, la respiration et l’esprit sont souvent reliés. On pourrait dire que la respiration est une porte sur l’esprit. La conscience de la respiration vous garde vraiment très présents et elle peut se produire naturellement à mesure que vous devenez conscients du corps subtil. Vous devenez alors également conscients de la respiration du corps. Il y a aussi un beau sentiment d’épanouissement de vie dans la respiration, le mouvement universel d’entrée et de sortie : la naissance, la mort… La naissance, la mort…

 

Et c’est si agréable que vous pourriez de temps en temps y revenir pendant la journée. Soyez présents de tout votre corps. Donc, utilisez ces nuits et faites-en une pratique spirituelle. Il semble que beaucoup de gens fassent cette expérience. Je me rappelle de mon passé plus lointain de très effroyables nuits de ce genre, avec un mental complètement emballé. Si l’on verbalisait ce que le mental fait en ces moments-là, on verrait à quel point il est fou . . . « Mais s’il fait ça, qu’est-ce que je vais faire ? Pourquoi est-ce qu’il m’a dit ça ? . . . La prochaine fois qu’il dit… . . . »

 

Ce à quoi vous avez accès, c’est en fait le pouvoir spirituel véritable. Peut-être vous le rappelez-vous, j’ai parlé du Tao-Tê-Chin il y a un certain temps, l’ancien livre chinois de sagesse. « Tao » est la dimension de la transcendance que l’on ne peut pas nommer. Le « Tê » de Tao-Tê-Chin est traditionnellement traduit par « vertu », mais c’est faux, ça n’a pas vraiment de sens. La vraie signification est « le pouvoir ». C’est le pouvoir du chemin : le Tê vous montre comment accéder au pouvoir spirituel. Tê est le pouvoir. C’est le non-conditionné et c’est ce que vous êtes. J’ai dit que vous y accédiez, mais intrinsèquement, vous faites un avec ce pouvoir. Toute créativité provient de là, ainsi que la joie, l’amour, la vie qui s’épanouit… Rien de tel n’est produit par le mental : « Il faut que je sois plus aimant, je m’y emploie de toutes mes forces ! »

D’où viennent les pensées?

–     Q. – Je vous aime. À propos du processus de penser, je pense qu’il y a une réponse évidente que je demande en fait au-delà de ce sujet, mais d’où viennent nos pensées ? Très souvent, j’ai des pensées et j’ai l’impression que ce ne sont pas les miennes ou qu’il s’agit de schémas qui ont sévi pendant de nombreuses années, des pensées de jalousie, des pensées de compétition ou des pensées de menace… la peur, mais sincèrement, comme ce quelque chose qui nous réveille au milieu de la nuit dont vous venez de parler. Qu’est-ce que c’est ? Cela fait-il partie de la condition d’être vivant ?

 

– Merci. On posait une question similaire au Bouddha. Je vais vous dire ce qu’il disait, mais je répondrai ensuite, parce qu’il ne l’a pas fait. Quelqu’un lui a posé une question de ce genre et il donna une parabole en disant : « Quelqu’un vous a lancé une flèche et la voici enfoncée dans votre corps. Avant de la retirer, vous essayez de comprendre d’où elle vient : « Avant de l’enlever, j’ai besoin de savoir qui l’a tirée, pourquoi et d’où elle vient. Examinons ça en détails ». C’était la réponse du Bouddha. Il voulait dire ainsi que la préoccupation principale devrait consister à retirer la flèche au lieu d’essayer de comprendre comment cela a commencé, où cela a commencé.

 

Cet enseignement était très pratique, totalement pratique. Tout le bouddhisme n’est plus aussi pratique. Une partie reste pratique par rapport à d’autres traditions, mais au tout-début du bouddhisme, il était totalement pratique : « Enlève la flèche ! » Évidemment, la flèche représente la souffrance, toute forme de souffrance, qui est auto-infligée à travers le mental. OK, c’était donc sa réponse. Je suis bien sûr d’accord avec ça, comme nous tous, j’en suis sûr.

 

Allons maintenant un peu plus loin. Il existe ce que l’on appelle le mental collectif et beaucoup de pensées ne sont pas réellement vos pensées, vraiment elles émergent dans le mental collectif. Ce sont des champs d’énergie, des entités énergétiques.

 

On pourrait se les représenter comme des bulles qui circulent partout. Ça peut ne pas être vrai littéralement. Je n’ai jamais vu l’une de ces bulles, mais ce sont des formes-pensées sous forme de petites bulles circulant partout et si une forme-pensée découvre toute résonnance avec quelque chose en vous, par exemple toute forme de négativité . . . cette forme-pensée du mental collectif, même une forme-pensée plus lourde de négativité… Il suffit d’une moindre irritation concernant ce que quelqu’un a dit dans la journée . . . et il y a une autre forme-pensée qui résonne avec cette négativité, cette bulle vient alors . . . et avant de vous en apercevoir, l’irritation est devenue une montagne.

 

Vous vous connectez au mental collectif et il passe alors par vous. Quand nous composons avec ce que nous appelons notre mental personnel, c’est avec quelque chose qui est bien plus que notre mental personnel. De même, quand une prise de conscience se fait en vous, ce n’est pas à votre seul bénéfice. Elle a un impact sur l’ensemble du mental collectif. Quand la perception consciente se fait en vous, elle se fait dans le mental collectif de l’humanité. Ce n’est donc pas qu’une chose personnelle. Toute pensée qui s’empare de votre mental n’est pas vraiment personnelle. Il n’y a pas de pensée personnelle en tant que telle. Elle prétend être personnelle. C’est le mental collectif humain.

 

De la même façon, toute émotion que cela génère semble être sa propre émotion. Que cela soit de la colère, de la tristesse, de la jalousie ou n’importe quoi d’autre, c’est au fond la même chose en tout le monde quand cela arrive. Le mental y attache des histoires légèrement différentes, justifiant ainsi la colère, mais la colère est la colère, la colère humaine.

 

Répétons-le, ces pensées ne sont pas vôtres. Vous les « ramassez » et elles s’emparent de vous. Beaucoup d’humains vivent pratiquement avec un mental qui a pris possession d’eux en prétendant être eux et ils sont coincés avec ça sans même le savoir. S’ils le savaient, ce serait le début de la libération. Ils ne le savent pas et si vous leur dites, ils se mettent en colère, non pas eux, mais le mental, parce qu’il se sent menacé. Il y a donc toujours des humains qui n’entendront pas ça, qui ne peuvent pas entendre ça, parce qu’ils se sentiraient immédiatement menacés, parce qu’ils sont totalement possédés par le mental.

 

Vous pouvez voir, par exemple, la façon dont certaines formes-pensées collectives peuvent prendre possession de tout un pays, comme ce fut le cas avec le communisme soviétique en Russie, le maoïsme en Chine, des millions de gens pensant tous la même chose. Mais il en va de même dans notre société. Ce n’est pas forcément une seule forme-pensée monolithique comme celle-là, mais il y a différentes formes-pensées propagées à travers les médias, perpétuées sans même qu’on s’en rende compte.

 

La plupart des interprétations fondamentales de l’univers et du monde autour de nous sont des formes-pensées qui émanent du collectif, qui ont pris possession de nous, et ce sont toutes des formes que prend la conscience dans le mental. Et c’est très bien en soi s’il y a une conscience, mais s’il n’y a que la pensée, elle devient malsaine et destructive, sans la conscience, la perception.

 

–     Bien sûr, si vous voulez continuez, la question suivante sera : « Pourquoi ? Comment est-ce que tout cela a commencé ? D’où est-ce que cela vient ? » On retrouve la flèche.

 

–     Q. – Exact ! En effet, mon amie et moi utilisons cette phrase, Quand vous demandez pourquoi, « c’est le mensonge ».

 

– Oui,

 

–     juste le besoin de lâcher prise. Mais la chose est apparue quand vous avez partagé votre réponse – merci – Le penser n’est-il pas quelque chose contre quoi ne pas se battre mais plutôt un outil ? qui me montre quand je me laisse m’identifier à quelque chose que je ne suis pas qui me fait me sentir séparée. C’est un outil merveilleux. Cela est ultimement impuissant en face de la Conscience, n’est-ce pas?

 

–     E. – Oui, si vous êtes identifiée au penser, vous avez dit « impuissante ». Oui, parce que vous n’êtes pas là ; vous êtes absente, pratiquement absente ou complètement endormie quand vous êtes identifiée au penser. Vous êtes alors gouvernée par des schémas, par des schémas karmiques collectifs mentaux. Votre pouvoir véritable se révèle à mesure que vous vous éveillez de ce fonctionnement.

 

–     Q. – Merci Eckhart.

 

– E. Merci.



26/01/2017
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